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mercredi 21 novembre 2007

Le Triomphe de la raison

Le Triomphe de la raison

Voici encore un livre particulièrement intéressant et très stimulant. Il remet « les pendules à l'heure » sur bien des points où la pensée dominante nous induit en erreur depuis l'époque des Lumières au moins. Je suis reconnaissant à Pierre Sauleau de m'autoriser à publier la note de lecture qu'il en a rédigée.

STARK Rodney, Le Triomphe de la raison, Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme, Presses de la Renaissance, 2007 (2005 pour l’édition américaine), 359 p.

Essai historique, fort d’une ample bibliographie, (lire la suite) surtout anglo-saxonne, aussi intéressant à lire qu’enrichissant. La thèse est clairement formulée par le sous-titre. L’auteur s’emploie à démontrer avec beaucoup d’exemples comment la confiance des chrétiens dans la raison a permis l’éclosion d’une pensée scientifique aboutissant à des inventions technologiques incessantes : il brosse, à cet égard, un tableau passionnant des inventions du moyen-âge. Il lie parallèlement l’invention du capitalisme et son rôle dans le progrès technologique à la gestion des propriétés monastiques dans un premier temps, puis son développement à la liberté démocratique des cités-état du nord de l’Italie, avant que le modèle ne soit appliqué dans les Flandres et surtout en Angleterre.
Son propos est une apologie du capitalisme comme facteur de développement, capitalisme qui a besoin de liberté individuelle et de respect de la propriété. C’est pourquoi l’auteur se montre très critique à l’égard des régimes qu’il appelle despotiques : que ce soit l’Empire romain, la monarchie absolue en France ou l’Empire espagnol, dont la richesse a dépendu de la taxation ou de la vénalité des charges, et non de l’investissement dans des industries créatrices de richesses. Il récuse aussi l’attribution du capitalisme à l’éthique protestante, en le démontrant soigneusement : toutes les pratiques du capitalisme moderne étaient en place dans l’Italie du nord dès le XIIe siècle et n’a fait que se perfectionner dans les deux siècles suivants avant que les libertés locales se perdent à cause des invasions étrangères, de la France d’abord, puis de l’Espagne. Il analyse ensuite le rôle du capitalisme dans le développement du Nouveau monde en opposant l’Amérique espagnole à l’Amérique du nord : il souligne que les divergences sont plus dues aux systèmes politiques qu’à une opposition catholicisme-protestantisme. Si aux XVIIIe et XIXe siècles ce sont les pays protestants qui se sont développés, ce sont les libertés individuelles et les organisations démocratiques qui ont fait la différence. Il considère aussi que la concurrence, y compris sur le plan religieux, est un stimulant de la vitalité religieuse, et que tous les systèmes de monopole religieux aboutissent à une religion de façade, le clergé cherchant plus un statut social que de s’adonner à une mission évangélisatrice. Il juge à cette aune la situation religieuse de l’Amérique du sud, gagnée aujourd’hui par le protestantisme, faute d’avoir été évangélisée en profondeur, comme en témoigne la faiblesse chronique du clergé autochtone. Il estime que cette situation est finalement favorable, car dans la concurrence il y a un véritable effort de la part des différentes communautés religieuses, qui bénéficie aussi aux catholiques.
Des points seront sûrement contestés par les spécialistes, des jugements sont rapides, et le ton parfois polémique, mais la démarche d’ensemble est des plus convaincante, à contre-courant de l’historiographie dominante. Les chrétiens ont eu confiance dans le pouvoir de la raison, ils ont eu « foi » dans la science et dans le fait que le monde est compréhensible et qu’il n’est pas gouverné par des forces magiques. Le christianisme a aussi inventé l’importance de la personne, le sens de la liberté individuelle et a trouvé les formes d’organisation sociale qui ont permis l’exercice de cette liberté. Là où les pouvoirs politiques l’ont restreinte ou limitée, l’invention technologique et l’élévation du niveau de vie et de culture des personnes privées ont été freinées, voire empêchées. Il se montre très dur sur l’Espagne et la France à cet égard, comme sur l’Empire romain, l’islam ou la Chine.
S’il manque une approche critique des excès du capitalisme, la thèse de fond est très heureuse et la citation finale d’un Chinois mérite d’être rapportée :
« L’une des choses qu’on nous demandait d’examiner était ce qui expliquait le succès de l’Occident dans le monde. Nous avons étudié tout ce que nous avons pu d’un point de vue historique, politique, économique et culturel. Au début nous avons pensé que c’était parce que vous aviez de meilleurs canons que nous. Puis nous avons pensé que c’était parce que vous aviez le meilleur système politique. Ensuite nous nous sommes focalisés sur votre système économique. Mais au cours des vingt dernières années, nous nous sommes rendu compte que le cœur de votre culture est votre religion : le christianisme. C’est pour cela que l’Occident est si puissant. Le fondement moral chrétien de la vie sociale et culturelle a été ce qui a rendu possibles l’émergence du capitalisme et ensuite la transition réussie vers une vie politique démocratique. Nous n’avons aucun doute la dessus » (Aikman).

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