La christianisation de la Gaule au Ier siècle (2)
II – Preuves générales de la
diffusion universelle de l’Évangile pendant les deux premiers siècles
On nous dit[1] que « la tradition,
qu’on invoque, au lieu de commencer au temps des Apôtres et de se dérouler sans
interruption, surgit tout à coup à une époque donnée, puis s’interrompt plus
tard, de telle sorte que le point de départ lui fait défaut et qu’elle manque
de continuité ». Nous espérons pouvoir prouver tout le contraire.
S'il est un fait hors de toute contestation, c’est que la tradition
constante et universelle du moyen âge attribue aux disciples des Apôtres la
fondation d’un grand nombre de nos églises, et que cette tradition n’a été
interrompue qu’au XVIIe siècle, par l’école de Launoy, contre
laquelle ont toujours protesté un bin nombre de savants. On n’attaque cette
croyance que parce qu’on ne lui croit pas de racines dans les premiers siècles
de l’Église, et qu’on l’accuse d’avoir pris naissance à des époques de barbarie
où les fraudes historiques auraient eu toute chance de succès. Combien de fois
n’a-t-on pas répété que c’était là une invention des légendes du moyen âge, que
l’on ne pouvait point considérer comme ayant une réelle valeur
historique ? On sait ce que nous pensons de l’autorité des légendes[2], et nous n’avons plus à
revenir sur ce point. Mais ce ne seront pas leurs seuls témoignages que nous
invoquerons ; nous appellerons à notre aide les historiens, les Pères de
l’Église, les controversistes, les philosophes, les poëtes, les orateurs, les
théologiens, et, pour rester sur le terrain choisi par nos adversaires, nous ne
sortirons point de six premiers siècles de l’Église.
Avant d’aborder les preuves
directes de l’évangélisation des Gaules, au temps des Apôtres, nous voulons
montrer, dans ce chapitre, combien a été rapide et universelle la diffusion de
l’Évangile, pendant les deux premiers siècles, et nous le ferons à l’aide des
textes que nous fourniront exclusivement les quatre premiers siècles de l’ère
chrétienne. Si tout l’univers, c'est-à-dire le monde connu des Romains, a été
évangélisé du temps des apôtres et de leurs successeurs immédiats, il faudra
bien conclure que la Gaule a jouit de ce bienfait ; et, si l’on veut créer
pour elle une exception, il faudra en déduire les motifs, ce qu’on pas encore
tenté de faire et ce qu’on n’essaiera jamais.
Lorsque le Sauveur eut enseigné à
ses Apôtres la parole de vie, il leur dit : « Allez dans tous
l’univers et prêchez l’Évangile à toutes les créatures[3]. » Les Apôtres, dont
nous sommes loin de connaître exactement toutes les pérégrinations, se
conformèrent à l’ordre du divin Maître. Saint Marc nous dit, en effet, qu’ils
prêchèrent partout[4] ; saint Paul écrivait
aux Romains[5] et
aux Colossiens[6]
que la foi était annoncée dans tout l’univers et jusqu’aux derniers confins du
monde. Sans doute, il ne faut point prendre ces paroles à la lettre, et surtout
dans le sens rigoureux de nos connaissances géographiques actuelles ; mais
elle s’appliquent tout au moins à ce vaste empire romain, qui était considéré
comme le véritable univers, et saint Paul se serait exposé à recevoir un facile
démenti, si la Gaule était restée étrangère à ces croyances chrétiennes que
saint Matthieu avait portées en Éthiopie, saint Simon en perse, saint
Barthélemy en Arménie, et que saint Thomas avait répandues jusque chez les
Parthes et les Indiens.
Cette rapide et universelle
irradiation de la lumière évangélique nous est attestée par tous les
siècles : écoutons seulement les affirmations des quatre premiers.
Ier siècle. – Sénèque
nous dit « qu’une religion, qui avait naissance sous Tibère, avait déjà
gagné toutes les parties de l’empire sous Néron ».
Hermas, ou du moins le livre du Pasteur
qu’on lui attribue[7],
reconnaît, comme saint Ignace[8], que toutes les nations de
la terre connaissent la foi de Jésus-Christ.
IIe siècle. – Les
écrivains de cette époque sont plus nombreux, et dès lors les témoignages se
multiplient. Vers l’an 140, saint Justin défiait les Juifs de lui citer
« une seule race de mortels, Grecs ou barbares, de quelque nom qu’on
puisse les appeler, soir parmi les peuplades scythes qui habitent leurs chars
errants, soit parmi les tribus nomades qui n’ont point de demeure fixe, soit
parmi les peuples pasteurs qui vivent sous la tente, au sein desquelles on
élève des prières et des actions de grâces, au nom de Jésus crucifié[9]. » Et, remarquons
bien que l’auteur, voulant prouver aux Juifs incrédules la réalisation de la
prophétie de Malachie[10], ne se serait point
exposé à ruiner sa thèse par des adversaires qui connaissent assurément l’état
religieux des Gaules à cette époque.
Les Constitutions apostoliques[11], Sérapion, évêque
d’Antioche[12],
l’hérétique Bardesanes[13], saint Irénée[14], Clément d’Alexandrie[15], etc., sont unanimes à
nous montrer le flambeau de la foi porté chez tous les peuples alors connus.
IIIe siècle. – Origène
se plaît à énumérer les conquêtes que la foi a remportées chez toutes les
nations, sur le judaïsme et le culte des faux dieux[16]. Saint Cyprien la compare
à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terre[17]. Tertullien[18] et Arnobe[19] tiennent un langage
analogue.
IVe siècle. – Saint
Basile[20] et Eusèbe de Césarée[21] comparent la diffusion de
l’Évangile à la rapidité d’un éclair ou d’un rayon de soleil. Lactance[22], saint Hilaire de
Poitiers[23],
saint Ambroise[24]
nous montrent toutes les provinces de l’Empire romain évangélisées par les
Apôtres et les disciples de Jésus-Christ. Saint Jérôme[25], commentant le chapitre
XXIV de saint Matthieu, ne croit pas qu’aucune nation ait ignoré le nom du
Christ, et saint Jean Chrysostome[26], en étudiant le même
texte, se demande combien ne durent pas être extraordinaires les pérégrinations
des Apôtres, puisque saint Paul, à lui seul, a semé la parole divine depuis
Jérusalem jusqu’en Espagne.
[1] Essai sur les Origines
du christianisme, etc., p. 50, par M. Tailliar, président honoraire à la
cour de Douai.
[2] Voire notre introduction à
l’Hagiographie du diocèse d’Amiens, t. I, p. xxxvii.
[3] Euntes in mundum universum, prædicate Evangelium
omni creaturæ. Marc 16, 15.
[4] Illi autem profecti prædivaverunt
ubique. 16, 20.
[5] Fides vestra annuntiatur
in universo orbe. I, 8. – In omnem exivit sonus eorum et in fines orbis terræ
verba eorum. 10, 18.
[6] Quod (Evangelium) pervenit
ad vos sicut et in universo mundo est, et fructificat, et crescit sicut in
orbis. I, 6.
[7] Universæ nationes quæ sub
cœlo sunt audierunt et crediderunt, et uno nomine Filii Dei vocati sunt. Lib.
III, simil. IX.
[8] Unum baptisma et una
Ecclesia quam suis sudoribus et laboribus fundarunt sancti Apostoli a finibus terræ
usque in finem, in sanguine Christi (Epist. ad Philadelph., c. IV).
[9] Nullum enim omnino genus
es, sive Græcorum sive Barbarum, sive quolibet nomine apellantur, vel
Hamaxiobiorum qui in plaustris habitant, vel Nomadum, qui domibus carent, vel
Scenitarum qui, pecora pascentes, habitant in tentoriis, nullum, inquam,
ejusmodi genus est, in quo non, per nomen crucifixi Jesu, preces et gratiarum
actiones Patri et Creatori universorum fiant (Dial. cum Tryphone. Patrol.
Grecque, VI, 748).
[10] Ab ortu soli usque ad
occasum magnum est nome meum in gentibus...
[11] Odor cognitionis
evangelii in omnibus gentibus suavis factus est.
[12] Omnem in Christo
fraternitatem quæ per universum orbem terrarum diffusa est… Epist. ad Coricum (ap. Euseb., lib. V, c. 18).
[13] Quid autem dicemus de christianorum secta, qui in omni parte
orbis, imo vero in omni civitate, inveniuntur (De fato dial. ad Antoninum
imper.).
[14] Unam et eamdem fidem habet in universo mundo, quemadmodum prædiximus
(Adv. Haer., c; 4).
[15] Magistri nostri verbum
non mansit in solo Judæa, sicut philosophia in Græcia, sed diffusum est per
totum orbem terræ, Græcorum simul et barbarorum Gentibus, et vicis et totis
urbibus persuadens (Stromat., l. VI).
[16] Et vero in omni orbe
terrarum, in omni Græcia, atque in universis cæteris nationibus, innumeri sunt
et immensi, qui, relicitis patriis legibus, et his, quos putabant Deos, ad
observantiam Moysæ legis et disciplinarum se Christi cultum tradiderunt (De
Principiis, l. IV, c. I).
[17] Ecclesia Domini, luce perfusa, per orbem totum radios suos
porrigit… ramos suos in universam terram copia ubertatis extendit (De
auctoritate Ecclesiae).
[18] Hesterni sumus et vestra omnia implevimus urbes,
insulas, castella, municipio, conciliabula, castra ipsa, tribus, decurias,
palatium, senatum, forum. Sola vobis relinquimus templa (Apolog. adv.
Gentes, c. XXXVII). – Ailleurs Tertullien, en énumérant les pays soumis au
Christ, nus dit : Et Galliarum diversæ nationes (Adv jud., c.
VII). Il s’agit bien là des quatre grandes provinces de Narbonne, de Lyon, de
la Belgique et de l’Aquitaine.
[19] Brevi tempore totus
mundus ista christiana religione completus est (Ad gentes, l. II).
[20] Evangelii doctrina
fulgetra quavis pernicior ad extremos usque limitae terræ habitabiles pertigit
(Enarr. In Isaia, c. VII).
[21] Nulla fere mora interposita,
tamquam solis jubar, salutare Dei verbum universum terrarum orbem suo splendore
collustravit (Hist., lib. II, c. 3) d – Eusèbe nous dit ailleurs (lib.
III, c. 31), en parlant des Apôtres : « Qui eum in locis quibusdam
pergerinis fiet duntaxat jecerunt fundamenta, pastores alios constituissent… Ipsi ad alias regiones gentesque, cum
gratia et virtute divina, se contulerunt.
[22] Ordinavit Christus
discípulos et instruxit ad prædicationem dogmatis ad doctrina suæ…, et inde
discipuli… dispersi sunt per omnem terram ad Evangelium prædicandam, sicut
illis magister Dominus imposuerat, et per annos XXXV usque ad principium
Neroniani imperii, per omnes provincias e civitates Ecclesiæ fundamenta
miserunt (De Morte persecut., c. II).
[23] Apostoli prima
tabernacula (Églises) condiderunt, et per omnes orbis terrarum partes,
quacumque adiri possunt, quin etiam in Oceani insulis (la Grande-Bretagne)
habitationes Dei plurimas paraverunt (Tract. in Psalm. XIV, n° 18).
[24] Le traité de Excidio
Hieros. (liv. II) attribué d’abord à saint Hégésippe, puis à saint
Ambroise, mais qu’on s’accorde à placer au IVe siècle, s’exprime
ainsi : « Ex quo cæpit congregatio christianorum, in omne hominum
penetravit genua, nec ulla natio Romani orbis remansit quæ cultus ejus expers
relinqueretur. »
[25] Non puto aliquam mansisse
gentem quæ Christi nomen ignoret.
[26] In Matth., cap. XXIV.
[27] Prædicationis regni Dei
non fuit lenta properatio, sed in omnem terram indefessa mobilitate et celeri
tanscurrit (In Psalm. CXLVII).
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