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lundi 27 octobre 2025

La christianisation de la Gaule au Ier siècle (2)

II – Preuves générales de la diffusion universelle de l’Évangile pendant les deux premiers siècles

 

On nous dit[1] que « la tradition, qu’on invoque, au lieu de commencer au temps des Apôtres et de se dérouler sans interruption, surgit tout à coup à une époque donnée, puis s’interrompt plus tard, de telle sorte que le point de départ lui fait défaut et qu’elle manque de continuité ». Nous espérons pouvoir prouver tout le contraire. S'il est un fait hors de toute contestation, c’est que la tradition constante et universelle du moyen âge attribue aux disciples des Apôtres la fondation d’un grand nombre de nos églises, et que cette tradition n’a été interrompue qu’au XVIIe siècle, par l’école de Launoy, contre laquelle ont toujours protesté un bin nombre de savants. On n’attaque cette croyance que parce qu’on ne lui croit pas de racines dans les premiers siècles de l’Église, et qu’on l’accuse d’avoir pris naissance à des époques de barbarie où les fraudes historiques auraient eu toute chance de succès. Combien de fois n’a-t-on pas répété que c’était là une invention des légendes du moyen âge, que l’on ne pouvait point considérer comme ayant une réelle valeur historique ? On sait ce que nous pensons de l’autorité des légendes[2], et nous n’avons plus à revenir sur ce point. Mais ce ne seront pas leurs seuls témoignages que nous invoquerons ; nous appellerons à notre aide les historiens, les Pères de l’Église, les controversistes, les philosophes, les poëtes, les orateurs, les théologiens, et, pour rester sur le terrain choisi par nos adversaires, nous ne sortirons point de six premiers siècles de l’Église.

Avant d’aborder les preuves directes de l’évangélisation des Gaules, au temps des Apôtres, nous voulons montrer, dans ce chapitre, combien a été rapide et universelle la diffusion de l’Évangile, pendant les deux premiers siècles, et nous le ferons à l’aide des textes que nous fourniront exclusivement les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne. Si tout l’univers, c'est-à-dire le monde connu des Romains, a été évangélisé du temps des apôtres et de leurs successeurs immédiats, il faudra bien conclure que la Gaule a jouit de ce bienfait ; et, si l’on veut créer pour elle une exception, il faudra en déduire les motifs, ce qu’on pas encore tenté de faire et ce qu’on n’essaiera jamais.

Lorsque le Sauveur eut enseigné à ses Apôtres la parole de vie, il leur dit : « Allez dans tous l’univers et prêchez l’Évangile à toutes les créatures[3]. » Les Apôtres, dont nous sommes loin de connaître exactement toutes les pérégrinations, se conformèrent à l’ordre du divin Maître. Saint Marc nous dit, en effet, qu’ils prêchèrent partout[4] ; saint Paul écrivait aux Romains[5] et aux Colossiens[6] que la foi était annoncée dans tout l’univers et jusqu’aux derniers confins du monde. Sans doute, il ne faut point prendre ces paroles à la lettre, et surtout dans le sens rigoureux de nos connaissances géographiques actuelles ; mais elle s’appliquent tout au moins à ce vaste empire romain, qui était considéré comme le véritable univers, et saint Paul se serait exposé à recevoir un facile démenti, si la Gaule était restée étrangère à ces croyances chrétiennes que saint Matthieu avait portées en Éthiopie, saint Simon en perse, saint Barthélemy en Arménie, et que saint Thomas avait répandues jusque chez les Parthes et les Indiens.

Cette rapide et universelle irradiation de la lumière évangélique nous est attestée par tous les siècles : écoutons seulement les affirmations des quatre premiers.

 

Ier siècle. – Sénèque nous dit « qu’une religion, qui avait naissance sous Tibère, avait déjà gagné toutes les parties de l’empire sous Néron ».

Hermas, ou du moins le livre du Pasteur qu’on lui attribue[7], reconnaît, comme saint Ignace[8], que toutes les nations de la terre connaissent la foi de Jésus-Christ.

 

IIe siècle. – Les écrivains de cette époque sont plus nombreux, et dès lors les témoignages se multiplient. Vers l’an 140, saint Justin défiait les Juifs de lui citer « une seule race de mortels, Grecs ou barbares, de quelque nom qu’on puisse les appeler, soir parmi les peuplades scythes qui habitent leurs chars errants, soit parmi les tribus nomades qui n’ont point de demeure fixe, soit parmi les peuples pasteurs qui vivent sous la tente, au sein desquelles on élève des prières et des actions de grâces, au nom de Jésus crucifié[9]. » Et, remarquons bien que l’auteur, voulant prouver aux Juifs incrédules la réalisation de la prophétie de Malachie[10], ne se serait point exposé à ruiner sa thèse par des adversaires qui connaissent assurément l’état religieux des Gaules à cette époque.

Les Constitutions apostoliques[11], Sérapion, évêque d’Antioche[12], l’hérétique Bardesanes[13], saint Irénée[14], Clément d’Alexandrie[15], etc., sont unanimes à nous montrer le flambeau de la foi porté chez tous les peuples alors connus.

 

IIIe siècle. – Origène se plaît à énumérer les conquêtes que la foi a remportées chez toutes les nations, sur le judaïsme et le culte des faux dieux[16]. Saint Cyprien la compare à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terre[17]. Tertullien[18] et Arnobe[19] tiennent un langage analogue.

 

IVe siècle. – Saint Basile[20] et Eusèbe de Césarée[21] comparent la diffusion de l’Évangile à la rapidité d’un éclair ou d’un rayon de soleil. Lactance[22], saint Hilaire de Poitiers[23], saint Ambroise[24] nous montrent toutes les provinces de l’Empire romain évangélisées par les Apôtres et les disciples de Jésus-Christ. Saint Jérôme[25], commentant le chapitre XXIV de saint Matthieu, ne croit pas qu’aucune nation ait ignoré le nom du Christ, et saint Jean Chrysostome[26], en étudiant le même texte, se demande combien ne durent pas être extraordinaires les pérégrinations des Apôtres, puisque saint Paul, à lui seul, a semé la parole divine depuis Jérusalem jusqu’en Espagne.

Il résulte de tous ces témoignages que la propagation de l’Évangile n’a pas été lente, mais, tout au contraire, extrêmement rapide, comme nous le dit saint Hilaire de Poitiers[27] ; que les Apôtres et leurs disciples immédiats ont évangélisé toutes les nations, c'est-à-dire, tout au moins, les provinces de l’empire romain et les contrées qui étaient fréquentées par les maîtres du monde. Comment admettre un seul instant que les missionnaires de la nouvelle foi aient privé la Gaule de leurs prédicateurs, cette contrée si romaine, si accessible par ses nombreuses voies, si liée aux intérêts de la métropole, et s’identifiant si bien à elle par ses croyances, ses mœurs, ses monuments et ses institutions ? Eh quoi ! les Apôtres et leurs disciples auraient pénétré dans les contrées les plus barbares de l’Afrique et de l’Asie, en bravant les difficultés des chemins et de l’éloignement, et ils auraient volontairement fermé les yeux sur un pays justement célèbre, où prospérait la civilisation et où il était si facile de se rendre, soit par mer, soit par terre ! Les successeurs immédiats de saint Pierre auraient oublié les prescriptions du divin Maître, ou, du moins, leur esprit de prosélytisme se serait évanoui devant les barrières des Alpes et du Rhin ! Mais a-t-on fourni l’ombre d’un argument pour expliquer comment la Gaule aurait été l’objet d’un si singulier mépris, la victime d’une si étrange exception ? A-t-on essayé de nous apprendre pourquoi il ne faudrait pas la compter parmi cers nations, ces provinces de l’Empire, dont l’évangélisation nous est affirmée par des témoignages si nombreux, si irrécusables, si voisons des événements, si divers d’origine, formulés par des auteurs qui écrivaient, les uns contre les Juifs, les autres contre les Gentils, tous également intéressés à démentir un fait qui aurait été controuvé ou exagéré ? Puisqu’on ne nous donc point la solution de ce problème, nous sommes en droit, même avant d’avoir produit des textes plus précis et plus spéciaux, de conclure que la Gaule, aussi bien que les autres provinces romaines, a été évangélisée pendant les deux premiers siècles.


[1] Essai sur les Origines du christianisme, etc., p. 50, par M. Tailliar, président honoraire à la cour de Douai.

[2] Voire notre introduction à l’Hagiographie du diocèse d’Amiens, t. I, p. xxxvii.

[3] Euntes in mundum universum, prædicate Evangelium omni creaturæ. Marc 16, 15.

[4] Illi autem profecti prædivaverunt ubique. 16, 20.

[5] Fides vestra annuntiatur in universo orbe. I, 8. – In omnem exivit sonus eorum et in fines orbis terræ verba eorum. 10, 18.

[6] Quod (Evangelium) pervenit ad vos sicut et in universo mundo est, et fructificat, et crescit sicut in orbis. I, 6.

[7] Universæ nationes quæ sub cœlo sunt audierunt et crediderunt, et uno nomine Filii Dei vocati sunt. Lib. III, simil. IX.

[8] Unum baptisma et una Ecclesia quam suis sudoribus et laboribus fundarunt sancti Apostoli a finibus terræ usque in finem, in sanguine Christi (Epist. ad Philadelph., c. IV).

[9] Nullum enim omnino genus es, sive Græcorum sive Barbarum, sive quolibet nomine apellantur, vel Hamaxiobiorum qui in plaustris habitant, vel Nomadum, qui domibus carent, vel Scenitarum qui, pecora pascentes, habitant in tentoriis, nullum, inquam, ejusmodi genus est, in quo non, per nomen crucifixi Jesu, preces et gratiarum actiones Patri et Creatori universorum fiant (Dial. cum Tryphone. Patrol. Grecque, VI, 748).

[10] Ab ortu soli usque ad occasum magnum est nome meum in gentibus...

[11] Odor cognitionis evangelii in omnibus gentibus suavis factus est.

[12] Omnem in Christo fraternitatem quæ per universum orbem terrarum diffusa est… Epist. ad Coricum (ap. Euseb., lib. V, c. 18).

[13] Quid autem dicemus de christianorum secta, qui in omni parte orbis, imo vero in omni civitate, inveniuntur (De fato dial. ad Antoninum imper.).

[14] Unam et eamdem fidem habet in universo mundo, quemadmodum prædiximus (Adv. Haer., c; 4).

[15] Magistri nostri verbum non mansit in solo Judæa, sicut philosophia in Græcia, sed diffusum est per totum orbem terræ, Græcorum simul et barbarorum Gentibus, et vicis et totis urbibus persuadens (Stromat., l. VI).

[16] Et vero in omni orbe terrarum, in omni Græcia, atque in universis cæteris nationibus, innumeri sunt et immensi, qui, relicitis patriis legibus, et his, quos putabant Deos, ad observantiam Moysæ legis et disciplinarum se Christi cultum tradiderunt (De Principiis, l. IV, c. I).

[17] Ecclesia Domini, luce perfusa, per orbem totum radios suos porrigit… ramos suos in universam terram copia ubertatis extendit (De auctoritate Ecclesiae).

[18] Hesterni sumus et vestra omnia implevimus urbes, insulas, castella, municipio, conciliabula, castra ipsa, tribus, decurias, palatium, senatum, forum. Sola vobis relinquimus templa (Apolog. adv. Gentes, c. XXXVII). – Ailleurs Tertullien, en énumérant les pays soumis au Christ, nus dit : Et Galliarum diversæ nationes (Adv jud., c. VII). Il s’agit bien là des quatre grandes provinces de Narbonne, de Lyon, de la Belgique et de l’Aquitaine.

[19] Brevi tempore totus mundus ista christiana religione completus est (Ad gentes, l. II).

[20] Evangelii doctrina fulgetra quavis pernicior ad extremos usque limitae terræ habitabiles pertigit (Enarr. In Isaia, c. VII).

[21] Nulla fere mora interposita, tamquam solis jubar, salutare Dei verbum universum terrarum orbem suo splendore collustravit (Hist., lib. II, c. 3) d – Eusèbe nous dit ailleurs (lib. III, c. 31), en parlant des Apôtres : « Qui eum in locis quibusdam pergerinis fiet duntaxat jecerunt fundamenta, pastores alios constituissent… Ipsi ad alias regiones gentesque, cum gratia et virtute divina, se contulerunt.

[22] Ordinavit Christus discípulos et instruxit ad prædicationem dogmatis ad doctrina suæ…, et inde discipuli… dispersi sunt per omnem terram ad Evangelium prædicandam, sicut illis magister Dominus imposuerat, et per annos XXXV usque ad principium Neroniani imperii, per omnes provincias e civitates Ecclesiæ fundamenta miserunt (De Morte persecut., c. II).

[23] Apostoli prima tabernacula (Églises) condiderunt, et per omnes orbis terrarum partes, quacumque adiri possunt, quin etiam in Oceani insulis (la Grande-Bretagne) habitationes Dei plurimas paraverunt (Tract. in Psalm. XIV, n° 18).

[24] Le traité de Excidio Hieros. (liv. II) attribué d’abord à saint Hégésippe, puis à saint Ambroise, mais qu’on s’accorde à placer au IVe siècle, s’exprime ainsi : « Ex quo cæpit congregatio christianorum, in omne hominum penetravit genua, nec ulla natio Romani orbis remansit quæ cultus ejus expers relinqueretur. »

[25] Non puto aliquam mansisse gentem quæ Christi nomen ignoret.

[26] In Matth., cap. XXIV.

[27] Prædicationis regni Dei non fuit lenta properatio, sed in omnem terram indefessa mobilitate et celeri tanscurrit (In Psalm. CXLVII).


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