L'Eglise et la sexualite
L'Église et la sexualité
Voici le compte rendu d'un ouvrage très actuel : Guy Bedouelle, Jean-Louis Bruguès, Philippe Becquart, L'Église et la sexualité. Repères historiques et regards actuels, Paris, Cerf, 2006, 271 p.
Jean-Louis Bruguès est évêque d'Angers. Jadis membre de la Commission théologie internationale, il a appartenu également au Comité national consultatif d'éthique. Guy Bedouelle, professeur d'histoire de l'Église à l'Université de Fribourg, en Suisse, et président du Centre dominicain d'études du Saulchoir est, depuis peu, Recteur de l'Université catholique de l'Ouest, à Angers. Philippe Becquart est moraliste et historien, assistant à la faculté de théologie de Fribourg. Il est marié et père de famille.
L'objectif de l'ouvrage, est-il dit en quatrième de couverture, est « de fournir quelques clés pour comprendre comment la parole de l'Église est à la fois enracinée dans une expérience historique collective avec ses bouleversements et une compréhension aimante de la condition sexuée de l'humanité ». Pour cela, (lire la suite) la part belle est donnée à la dimension historique des problèmes étudiés. Le premier d'entre eux est la notion de mariage, à partir des deux types de mariage de la société antique (le modèle de l'Ancien Testament et le monde grec), puis de l'avènement du mariage chrétien et la doctrine qu'en élabore le Moyen Âge, suivie de la sécularisation du mariage du XVIème au XXème siècles. Une « petite théologie du mariage » et de l'amour est présentée ensuite à partir des questionnements qui se posent de nos jours. L'ouvrage souligne que « la réflexion théologique du sacrement de mariage s'est profondément enrichie ces trente dernières années d'un renouvellement de perspective grâce à la doctrine philosophique (voit « l'on-do-logie » de Cl. Bruaire) et théologique des « dons ». Cette perspective nouvelle, intégrant davantage les notions de « liberté », de « personne », de « dignité humaine », est de toute évidence une ligne de recherche féconde tant pour la vie concrète des couples que pour l'enseignement ecclésial.
Le chap. 2 étudie la période « des fiançailles aux relations préconjugales ». Le point de vue historique situe les origines d'une exigence, à savoir la prohibition des relations hors mariage dans l'Écriture et la Tradition, puis décrit les fiançailles qui institutionnalisent le lien et la sexualité avant mariage. Une évaluation morale de la sexualité hors mariage est donnée ensuite qui, partant de la prolifération du concubinage actuelle, rappelle que l'Église a pris la défense de la sexualité, en particulier contre une culture philosophique marquée par le dualisme tenant la suprématie de l'esprit sur un « corps prison » ou encore des déviances théologiques récurrentes interdisant l'exercice de la sexualité et niant la bonté du corps humain. « Si la sexualité ne peut être vécue que dans le mariage, c'est qu'elle exprime un des aspects fondamentaux de la révélation judéo-chrétienne : l'alliance entre l'homme et la femme réfère directement à la relation du Christ-Époux à son Église-Épouse ».
Le chap. suivant aborde la question de « la contraception », d'abord à partir d'une brève histoire du désir de l'homme et de la femme de maîtriser leur fécondité, puis d'un exposé de la maîtrise de la fertilité selon le magistère contemporain et du sens de la sexualité suivant la théologie du corps développée par le pape Jean-Paul II, où l'accent est mis sur l'amour conjugal comme don total de soi. Les auteurs estiment qu'« évangéliser la sexualité humaine est une tâche exaltante confiée à chaque chrétien. Elle ouvre un chemin de vérité et de liberté. L'attrait réel, mais relatif, des méthodes naturelles de régulation des naissances, leur fiabilité aujourd'hui remarquable offrent un apport substantiel à la crédibilité de la parole de l'Église sur la fécondité humaine ».
« L'avortement » est un autre sujet brûlant. Il est déjà pratiqué dans l'Antiquité païenne et judéo-chrétienne ; il l'est encore à l'époque médiévale, qui discute autour de l'animation de l'embryon, et moderne. L'Église reste un « signe de contradiction » en défendant la vie. Mais l'avortement continue de jeter un défi éthique. « La permanence d'un nombre élevé d'avortements (...) oblige à repenser la question du statut de l'embryon au regard des sciences, du droit et de l'éthique. Quelle est la définition scientifique de l'embryon ? Les découvertes de la biologie contemporaine ne permettent-elles pas de relancer la réflexion philosophique sur le caractère humain de la vie embryonnaire ? Enfin, comment répondre aux défis éthiques soulevés par la maîtrise de la vie de l'homme par l'homme ? » Telles sont les questions brièvement abordées ici.
Le chap. suivant porte sur « la masturbation », d'abord selon les sources de l'antiquité, puis avec, du XIIème au XVIIème siècles, un raidissement doctrinal qu'accompagne une indifférence des fidèles. On assiste ensuite à un « flux et reflux » de la lutte anti-masturbatoire, la masturbation étant présentée par des ouvrages, puis des médecins, comme source de nombreuses maladies. Elle est présentée comme un vice redoutable qui met en cause la société tout entière. C'est « le discours d'apparence scientifique et rationnel qui l'emporte sur le discours religieux ». Au XXème siècle, les anciennes conceptions disparaissent pour laisser la place à des idées parfois très contradictoires, sous l'effet d'une évolution sans chef de file véritable. « Une fois les idées traditionnelles mises en doute, par contagion intellectuelle, on abandonne ce que l'on considère désormais comme des préjugés. » Le sens moral de la masturbation est présenté à la fin du chapitre : c'est d'abord le rappel de la doctrine traditionnelle, qui n'a jamais été directement une des préoccupations de l'Église, puis l'inflexion personnaliste dans les années 1950 et 1960, qui ne se centre plus seulement sur l'acte mais cherche à comprendre les raisons qui poussent la personne et les circonstances pouvant atténuer la responsabilité de la personne. La Congrégation pour la doctrine de la Foi publie l'instruction Persona humana, en 1975, et la Congrégation pour l'éducation catholique l'instruction Orientations éducatives sur l'amour humain, en 1983. En conclusion, « il est clair que l'acte qui consiste à se donner à soi-même, de manière solitaire ou même avec d'autres, le plaisir vénérien est en contradiction avec le sens de la sexualité compris comme une alliance d'amour ».
Nous en arrivons à « l'homosexualité et la différence sexuelle ». L'homosexualité est vue successivement durant l'Antiquité, à l'ère chrétienne et aujourd'hui. Bien que largement inexpliquée, l'homosexualité, après avoir été cachée et pourchassée, est désormais revendiquée et se trouve légitimée par la loi dans un certain nombre de pays. La Congrégation pour la doctrine de la Foi a publié l'instruction Au sujet des propositions de loi sur la non-discrimination des personnes homosexuelles, en 1992. Il est relevé que l'homosexualité ne peut pas être source de droits, mais que ce sont les personnes qui sont des sujets de droits et de devoirs. Le respect des personnes homosexuelles n'implique pas d'approuver leurs « unions » et mois encore leur reconnaissance juridique. La position de l'Église catholique est présentée à partir de Persona humana, des « directives pour le ministère auprès des homosexuels » de la Commission théologique des évêques suisses, de 1979, des Orientations éducatives sur l'amour humain, déjà citées, de la Lettre aux évêques de l'Église catholique sur la pastorale à l'égard des personnes homosexuelles, de 1986, et du Catéchisme de l'Église catholique. « L'Église ne renonce pas à affirmer la dignité plénière de toute personne quelle que soit sa tendance sexuelle, et donc à reconnaître la liberté qui est la sienne dans chaque acte de sa vie affective. »
Un dernier chapitre aborde la question de « la chasteté et la pudeur », avec une brève synthèse d'une conception chrétienne de la sexualité. La Bible offre quatre caractéristiques essentielles de la sexualité : elle est bonne et source de jubilation, elles est promesse de bonheur, la différence et la pluralité des sexes est constitutive de l'identité de l'être individuel, avec l'œuvre rédemptrice du Christ le mariage retrouve la pureté et l'exigence des origines. Les auteurs proposent trois « attitudes » pour un nouvel art de vivre sa sexualité : la chasteté, qui consiste à « mettre de l'amour dans l'amour », la continence, vue comme une « épreuve transformante » et la pudeur ou le « tact de l'âme ». « Si la chasteté, comme vertu chrétienne, déplace la sexualité dans le temps du salut, auquel le baptême incorpore, la pudeur en est, en quelque sorte, le signe antécédent. L'une et l'autre rappellent que l'amour n'est pas seulement un désir de jouissance, mais aussi et d'abord un désir de l'autre découvert et accueilli comme une personne. »
Une brève conclusion souligne que c'est dans le mystère trinitaire « que se comprend l'amour humain total, unitif et fécond ». Suit une bibliographie comportant des ouvrages généraux et d'autres ouvrages spécifiques à chaque chapitre.
Cet ouvrage a le mérite de la clarté. Les auteurs n'éludent pas les problèmes posés par la crise de la civilisation contemporaine, notamment en Occident. Si les énoncés historiques auraient pu être parfois un peu simplifiés, ils contribuent à faire comprendre les positions de l'Église catholique et la doctrine qu'elle continue d'annoncer pour défendre la dignité de la personne humaine.