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vendredi 5 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (3)

Ce qui importe donc avant tout pour un baptisé, ce n’est pas de réaliser une tâche déterminée, préparer le repas, conduire les enfants à l’école, organiser les vacances, exercer son métier, etc. Cela tout le monde le fait. Pour un chrétien, et c’est ce que l’Église attend de lui, fil s’agit de se sanctifier en préparant le repas, de se sanctifier en conduisant les enfants à l’école, de se sanctifier en organisant les vacances, de se sanctifier en exerçant son métier. C’est la même chose mais effectué dans une toute autre perspective, une perspective autrement attrayante et formidable.

« Pour moi, disait saint Josémaria, le travail d’une de mes filles membre de l’Opus Dei, qui est employée de maison, est de la même importance que le travail d’une de mes filles qui porte un titre nobiliaire. Dans les deux cas, la seule chose qui m'intéresse, c’est que le travail qu’elles effectuent soit un moyen et une occasion de sanctification pour elles-mêmes et pour les autres ; et le travail le plus important sera celui de la personne qui, dans sa propre occupation, et dans son propre état, devient plus sainte et accomplit avec le plus d’amour la mission reçue de Dieu. » Comme évoqué précédemment : qu’est-ce qui a le plus d’importance, le travail d’un ministre ou celui d’un balayeur des rues ? La réponse est identique : celui qui a le plus d’importance, c’est celui qui a été accompli avec plus d’amour de Dieu.(lire la suite)Nous ne nous situons pas au plan de la réussite humaine, mais à celui de la réussite surnaturelle. Soyons bien convaincus qu’il n’existe pas d’affaire plus important que celle de notre salut, de notre vie éternelle.

Rendre témoignage de sa foi avec naturel demande donc ce que saint Josémaria appelait « l’unité de vie ». Il expliquait ce concept en disant qu’il ne doit pas y avoir de compartiments étanches dans notre vie : d’un côté la vie de famille, d’un autre le travail, ou encore la vie de relation avec Dieu, les loisirs, etc. Mais que tout doit communiquer, imprimer sa marque aux autres aspects. Car nous sommes appelés à nous sanctifier par l’ensemble de nos actions, au risque d’être un pantin désarticulé. Parce que nous entendons nous sanctifier non seulement en participant à la messe dominicale ou en formulant quelques prières, seul ou en famille, mais aussi par tout le reste de notre vie. Autrement Dieu serait curieusement absent de la plus grande part de nos journées, qui perdraient de ce fait leur portée chrétienne, et seraient vécues comme si Dieu ne comptait pas pour nous, comme si elles étaient sans d’importance pour notre sanctification et pour l’évangélisation.

Il ne faut pas que nous en restions à l’horizontal, c’est-à-dire à accomplir des tâches que n’importe qui d’autre, à égalité de conditions, peut réaliser, peut-être même mieux que soi. Il convient de leur imprimer la verticalité, c'est-à-dire de les transcender, de leur donner une autre dimension en les faisant entrer dans la sphère de l’union à Dieu, de la prière.

Oui, vous avez bien entendu : de la prière. Un travail offert à Dieu se transforme en prière.

Si nous saisissons cela, nous comprenons de suite l’importance du travail professionnel et de toutes nos activités quotidiennes, même les plus banales, dans le plan de notre sanctification et de l’évangélisation.

Un théologien a fait remarquer que « l’ordre de Dieu à Adam « de cultiver [le jardin] et de le garder » emploie deux verbes hébreux, ‘aboda’ et ‘shama’. Deux mots riches, tous deux porteurs d’un double sens. Ils apparaissent ailleurs dans la Bible ; dans chaque cas pour décrire les devoirs ministériels des Lévites, la tribu des prêtres de l’ancien Israël. Le verbe ‘aboda’, souvent traduit par « servir », a en hébreu deux significations : le travail manuel ou bien le ministère sacerdotal, il peut suggérer les deux à la fois. Le verbe ‘shamar’ se traduit par « protéger » ou par « garder » et décrit la protection par les Lévites du lieu saint, le tabernacle, qu’ils gardent et protègent de la profanation.

Pour beaucoup de spécialistes de l’Écriture, l’auteur du Livre de la Genèse entendait suggérer tout cela dans le récit de la création d’Adam. Dieu créa Adam pour qu’il travaille et Il l’institua prêtre dans le temple cosmique. Ce n’étaient pas des activités séparées. Au commencement Adam a joui de l’unité de vie ; son travail était ordonné à l’adoration, il était en lui-même un acte d’adoration. À elle seule, la division du temps reflétait ce principe d’ordre. Dieu lui-même travailla six jours afin de sanctifier le septième en le rendant saint ; Dieu instaura le rythme du sabbat dans la structure de la création.

Par notre travail, nous pourrions ainsi adorer avec plus de perfection : adorer en travaillant »[1].

Le travail de l’homme revêt ainsi une valeur considérable dans le plan de la Rédemption. Le prouve le fait que Jésus lui-même ait voulu s’adonner à un métier. Si nous accomplissons notre propre tâche dans la perspective de notre sainteté et de cette d’autrui, cette tâche n’est jamais monotone, aussi répétitive soit-elle. Comme Monet le disait : « La Seine, je l’ai peinte toute ma vie, à toute heure, en toute saison. Je n’en ai jamais été las : elle est pour moi toujours nouvelle »[2].

Nous lisons dans un ouvrage de saint Josémaria : « Tu m’écris depuis ta cuisine, près du fourneau. L’après-midi commence. Il fait froid. À côté de toi, ta petite sœur (elle venait de découvrir la folie divine de vivre à fond sa vocation chrétienne) épluche des pommes de terre. Apparemment, penses-tu, son travail est le même qu’avant. Néanmoins il y a une si grande différence ! — C’est vrai : avant elle ne faisait “ qu’ ” éplucher des pommes de terre ; maintenant, elle se sanctifie en épluchant des pommes de terre. »

Voilà toute la différence de la part de quelqu’un qui a compris le sens profond de sa vocation chrétienne. Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenant conscience des implications d’une vie de foi, la personne en question a compris qu’elle ne pouvait pas se contenter d’éplucher des pommes de terre sans plus, mais qu’elle travaillait en présence de Dieu, pour la gloire de Dieu.

Saint Jean XXIII, devant qui j’ai eu l’honneur de jouer une modeste pièce de théâtre alors qu’il était nonce à Paris, disait que « le travail, grâce auquel on réalise sa propre perfection surnaturelle, contribue à répandre sur les autres les fruits de la Rédemption, et la civilisation dans laquelle on vit et travaille est pénétrée du levain évangélique »[3].

Le travail que nous réalisons, d’autres l’accomplissent aussi qui appartiennent à une autre religion, sont agnostiques ou se déclarent athées ou anticléricaux viscéraux. Et ils remplissent leur devoir peut-être mieux que vous, avec plus d’esprit professionnel, en étant plus brillants. Quelle différence existe-t-il donc entre leur travail et le vôtre ? Apparemment aucune.

Sauf précisément d’y introduire une portée spirituelle, de l’exécuter avec une vision d’éternité, en y apportant un supplément d’âme.

Dit autrement, le catholique que nous sommes ne peut en rester à l’horizontale, comme tout le monde. Sa conception de la vie et sa croyance en la vie éternelle, son amour de Dieu surtout l’amènent à ajouter la dimension verticale. À tout élever à l’ordre spirituel. Le travail change de perspective. Il n’est plus un simple gagne-pain ou l’occasion d’un épanouissement personnel et d’un service rendu à la société. Il devient une véritable prière. Il est accompli en présence de Dieu et offert à Dieu. Il nous fait participer à l’activité créatrice de Dieu, puisqu’il faut porter la création à son achèvement. Il est imitation de Jésus-Christ, qui a voulu exercer un métier, pour nous montrer la noblesse du travail. Il nous permet de développer notre personnalité d’enfant de Dieu. Et, si nous le déposons en esprit à l’autel, avec toute le reste de notre vie, il nous permet aussi de nous unir au Sacrifice rédempteur du Sauveur et, partant, d’être co-rédempteur avec lui.

Vous voyez l’immense portée d’un travail de l’homme réalisé dans une vision chrétienne de la vie. Je ne m’étends pas sur cette dimension évangélisatrice, puisque nous y reviendrons dans deux semaines.

Mais les perspectives que je viens d’ouvrir peuvent nous paraître difficiles à intégrer à notre vie. À tort. D’une part, ce serait ignorer la présence de la grâce que Dieu ne refuse jamais à qui la lui demande, et, d’autre part, ce serait ignorer que nous avons tous une obligation de rechercher la sainteté et de faire de l’apostolat.

[1] Scot Hann, Travail ordinaire grâce extraordinaire. Mon itinéraire spirituel dans l’Opus Dei, Paris, Le Laurier, 2009, p. 38.

[2] Monet, cité par G. Poteau, Le Déjeuner de Giverny [vie de Monet], Paris, Éditions Hors Commerce, 2006, p. 160.

[3] St Jean XXIII, enc. Pacem in terris

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