L’homme est bon (1)
Dans un petit ouvrage fort intéressant, De l’amour, publié à Genève par les éditions Ad solem, le philosophe Josef Pieper cite un auteur allemand, Ladislau Grünhut, dont l’ouvrage est introuvable. Cet auteur écrit que « comme Dieu m’aime parce que c’est moi, ainsi suis-je vraiment irremplaçable dans le monde ».
Il en va ainsi parce que, à l’origine, Dieu a créé l’homme distinct du reste de l’univers inanimé et animé. Dieu lui-même a tenu à souligner cette différence pour qu’elle soit bien établie. Contemplant l’humanité sortie de ses mains, il nous a fait savoir, par l’écrivain sacré, qu’il vit que « cela était très bon » (Genèse 1, 31), et pas seulement bon comme dans le cas des autres êtres créés (Genèse 1, 10.12.18.25). Cette bonté par
ticulière vient de ce que Dieu a créé l’homme « à son image et à sa ressemblance » (Genèse 1, 26). C’est pourquoi, dans une formulation qui rejoint celle rappelée ci-dessus, le concile Vatican II affirme que l’homme – c’est-à-dire évidemment l’homme et la femme – est « la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » (constitution pastorale
Gaudium et spes, n° 24).
Nous pouvons comprendre cette affirmation dans un double sens. Dieu aime l’homme tout spécialement pour ce qu’il est vraiment, c’est-à-dire un reflet de lui-même, de sa propre dignité et de sa propre liberté : liberté de choix, liberté d’aimer. Le deuxième sens de l’expression conciliaire est le suivant : l’être humain est la seule créature que Dieu a aimée de sorte qu’elle puisse participer à sa vie intratrinitaire, qu’il a destinée à entrer dans la sphère de sa propre intimité, à faire partie, en quelque sorte, du cercle de ses amis – « Je vous appelle mes amis » (Jean 15, 15) -, à être réellement ses enfants – domestici Dei, « membres de la famille de Dieu » (Éphésiens 2, 19). Dieu a aimé l’homme pour lui-même, autrement dit en lui insufflant une orientation ontologique à la sainteté – « Telle est la volonté de Dieu : votre sanctification » (1 Thessaloniciens 4, 3) -, en faisant en sorte que sa nature ait la capacité à découvrir le vrai bien, Dieu lui-même, à le désirer et à prendre les moyens lui permettant de vivre avec lui.
L’homme ¬– malgré la réalité du péché originel – peut donc se sentir tout spécialement aimé de Dieu. Celui lui est encore plus facile quand ce péché originel a été effacé de son âme par l’eau purificatrice du baptême, qui l’a élevé précisément à la condition d’enfant de Dieu. « Oui, c’est par la grâce que vous êtes sauvés moyennant la foi. Et cela ne vient pas de vous : c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas non plus des œuvres, afin que nul ne puisse se glorifier » (Éphésiens 2, 8-9).
Cependant, s’il est agréable à l’homme d’être aimé par quelqu’un, et a fortiori par plusieurs ou beaucoup de ses semblables, il semblerait qu’il n’apprécie pas tellement d’être aimé gratuitement. C’est ce que fait remarquer Josef Pieper, qui rapporte la remarque suivante de Nietzsche : « Les êtres ambitieux se rebellent contre le fait d’être aimés » (
Humain, trop humain).
(à suivre…)
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