ce blog est bloqué à l'entrée en Chine depuis le mois de mai 2007

vendredi 26 avril 2024

Pascal et sa bande

Tel l’archonte siégeant aux tribunaux hellènes

Et tenant les plaideurs longtemps en haleine

Avant de se prononcer selon toute justice

Et d’éliminer de la société tout vice…

 

Tel l’empereur romain s’en retournant vainqueur

D’une longue campagne engagée pour l’honneur

De l’Urbs exerçant son pouvoir sur l’univers

Et lui imprimant son exclusif caractère…

 

Tel Louis IX, le roi saint parmi tous les saints rois,

Qui rend la justice à Vincennes où il reçoit

Sous un vieux chêne tous ceux qui font requête

Et entendent de leur honneur faire conquête…

 

Tel Jeanne d’Arc à l’assaut à Orléans

Qui en trois jours rend son étendard triomphant,

Mettant un terme à un long siège de sept mois

Et soulevant chez tout le peuple un digne émoi…

 

Tel le bon roi René vénéré en Provence,

Un temps compagnon de Jeanne sans violence,

Dont le souvenir est si présent en Anjou

Opposé à l’Anglais, affranchi de son joug…

 

Tel le conquistador abordant l’Amérique

Et découvrant un monde excitant, féérique,

Dont les fiers habitants suscitent leur stupeur,

Eux-mêmes surpris de voir de leur peau la blancheur…

 

Tel Henri IV et son fameux panache blanc,

Servant à toute son armée de ralliement,

Et mettant l’accent sur labours et pâturages

Pour que la France prenne au monde l’avantage…

 

Tel le roi Louis XIV appelé « Roi Soleil »

Qui dans tout l’univers n’a pas eu son pareil

Et à fait valoir le prestige de la France

Sa dominance, sa richesse et son aisance…

 

Tel Bonaparte au pont d’Arcole et sa vaillance

Qui pèse lourd dans le plateau de la balance

Et permet à nos fiers soldats de l’emporter

Sur les Autrichiens et de grandir en fierté…

 

Oui, tel tu m’apparais, Pascal ineffable,

Parmi la marmaille  à vrai dire remarquable

Qui prend Adrech d’assaut chacun des vendredis,

                            Où c’est pour elle un peu comme le paradis.

lundi 8 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (4)

Une vie spirituelle sérieuse s’impose donc.

Parlons de cette vie intérieure solide, qui nous apparaît donc comme une condition sine qua non pour avancer sur le chemin de la sainteté et de l’apostolat, de la sainteté apostolique, pourrions-nous dire.

La recherche de la sainteté tout comme l’action évangélisatrice requièrent avant tout de développer une vie de prière. Notre Seigneur nous a clairement mis en garde : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Et, selon l’adage classique, « nul ne donne ce qu’il n’a pas ».

La messe dominicale est un minimum établi par notre sainte mère l’Église pour notre bien. Nous devrions être enthousiastes de la messe, puisqu’il nous y donné de revivre le sacrifice libérateur de la Croix et de pouvoir, si notre âme est bien disposée, recevoir dans la sainte communion l’auteur de toutes les grâces, notre Seigneur Jésus-Christ !

Mais comme il nous serait profitable de nous proposer des moments de prière au cours de la journée, à heure fixe ! Nous faisons l’expérience de nos limites, de notre incapacité à résoudre nombre de problèmes qui se présentent à nous, de notre faiblesse en présence des tentations.

Ouvrons l’Évangile. Nous constatons que Jésus ne cesse de nous inciter à prier, sans nous décourager et avec insistance, pour obtenir des grâces de son Père. Lui-même nous donne l’exemple de quelqu’un qui prie en toute circonstances et en tous lieux.

Notre Seigneur affirme qu’il prie pour nous. Il nous apprend aussi que le Saint-Esprit intercède auprès du père en notre faveur, « avec des gémissements ineffables ».

Comment ne pas entendre ses invitations répétées ? Comment ne pas chercher à imiter notre Seigneur et l’Esprit Paraclet ?

Je sais bien que le principal obstacle qui nous retient est le manque de temps. Mais n’éprouvons-nous pas une certaine honte de consacrer si peu de temps à Dieu alors que nous prenons pas mal de temps pour nous, ne serait-ce que sur les réseaux sociaux et sur l’internet ?

Vous voyez comme il convient de nous y prendre si nous voulons faire une large place à Dieu dans nos journées. Sainte Jeanne d’Arc se proposait que Messire Dieu soit le premier servi. Nous ne nous repentirons jamais d’agir ainsi. Nous regretterons toujours de ne pas le faire.(lire la suite)Une conséquence consiste à comprendre que la vie chrétienne, pour un laïc, ne lui demande pas de passer des heures à l’église – ce serait un désordre et manquer à ses devoirs d’état – mais d’adopter une attitude habituelle de prière.

Je m’explique. Si, comme nous le disions tout à l’heure, nous offrons à Dieu toutes les activités que nous réalisons, le travail professionnel, les tâches ménagères, les occupations matérielles, les repas, les loisirs et mêle sommeil, alors tout se transforme en prière. Et si nous les offrons à une intention déterminée, tout devient occasion d’évangélisation. Saint Josémaria résumait cela en parlant de « sanctifier le travail, se sanctifier grâce à son travail et sanctifier les autres par son travail ».

Mentionnons aussi une autre forme de prière, qui n’a guère la côte de nos jours : le sacrifice, les privations volontaires. Elle s’impose pourtant, si nous voulons vivre à fond notre vocation chrétienne. Le Seigneur a clairement indiqué que la condition de disciple requiert de renoncer à soi et de porter sa croix chaque jour. Nous ne pouvons pas faire l’économie de la croix. Elle n’a rien de négatif, puisque c’est par la sainte Croix que notre Seigneur a voulu racheter le monde. Par elle, le Seigneur a donné un sens nouveau à la souffrance sous toutes ses formes, à nos renoncements volontaires pour faire face avec vision surnaturelle aux épreuves de la vie. L’Église ne nous invite-t-elle pas à vénérer la sainte Croix ?

La sanctification de la vie de chaque instant n’est pas une question de temps, mais d’amour de Dieu.

Vous connaissez peut-être l’anecdote suivante :

« Un jour un vieux professeur fut engagé pour donner une formation sur la planification efficace de son temps à un groupe d’une quinzaine de dirigeants de grandes entreprises. Ce cours constituait l’un des cinq ateliers de leur journée de formation. Le vieux professeur n’avait donc qu’une heure. Debout, il les regarda un par un, lentement, puis il leur dit : « Nous allons réaliser une expérience. » De dessous la table, le professeur sortit un immense pot de plusieurs litres qu’il posa délicatement en face de lui. Ensuite, il exhiba une douzaine de cailloux à peu près gros comme des balles de tennis et les plaça délicatement, un par un, dans le grand pot. Lorsque le pot fut rempli jusqu’au bord, et qu’il fut impossible d’y ajouter un caillou de plus, il leva les yeux vers ses élèves et leur demanda : « Est-ce que le pot est plein ? » Tous répondirent : « Oui. »

Il attendit quelques secondes et ajouta : « Vraiment ? » Alors il se pencha de nouveau et sortit de sous la table un récipient rempli de graviers. Avec minutie, il versa ces graviers sur les gros cailloux puis brassa légèrement le pot. Les morceaux de gravier s’infiltrèrent entre les cailloux jusqu’au fond du pot. Le vieux professeur leva à nouveau les yeux vers son auditoire et redemanda : « Est-ce que le pot est plein ? » Cette fois, ses brillants élèves commencèrent à comprendre son manège. L’un d’eux répondit : « Probablement pas ! »

« Bien ! » répondit le vieux professeur. Il se pencha se nouveau et cette fois sortit du sable de sous la table. Il le versa dans le pot. Le sable alla remplir les espaces entre les gros cailloux et les graviers. Encore une fois, il demanda : « Est-ce que le pot est plein ? »

Cette fois, sans hésiter et en chœur, les élèves répondirent : « Non ! » « Bien ! » répondit le vieux professeur. Et comme s’y attendaient les élèves, il prit le pichet d’eau qui était sur la table et remplit le pot jusqu’à ras bord.

Le vieux professeur dit alors : « Quelle grande vérité nous démontre cette expérience ? » Pas fou, le plus audacieux des élèves songea au sujet du cours, répondit : « Cela démontre que même lorsqu’on croit que notre agenda est complètement rempli, si l’on veut vraiment, on peut y ajouter plus de rendez-vous et plus de choses à faire. » Non, répondit le vieux professeur, ce n’est pas cela ! La grande vérité que nous démontre l’expérience est la suivante : si l’on ne met les gros cailloux en premier dans le pot, on ne pourra jamais les faire tous entrer ensuite. » Il y eut un profond silence, chacun prenant conscience de l’évidence de ces propos.

Le vieux professeur leur dit alors : « Quels sont les gros cailloux dans votre vie ? Votre santé, votre famille, vos amis, vos rêves, votre carrière professionnelle ? Ce qu’il faut retenir, c’est l’importance de mettre les gros cailloux en premier dans sa vie, sinon on risque de ne pas la réussir. Si on donne la priorité aux pacotilles – le gravier, le sable – on remplira sa vie de futilités, de choses sans importance et sans valeur, et nous n’aurons plus de temps à consacrer aux éléments importants. Alors n’oubliez pas de vous poser la question : quels sont les gros cailloux de ma vie ? Ensuite mettez-les en premier dans le pot de votre existence. » D’un geste amical de la main, le vieux professeur salua son auditoire et quitta la salle lentement[1]. »

Telle est donc la façon exacte de considérer notre relation à Dieu.

En envisageant la vie sous cet angle, celui d’un enfant qui entend faire plaisir à son Père et lui témoigner de son amour, nous comprenons la grandeur de la vie ordinaire, nous sommes convaincus que la vie de la femme et de l’homme est vraiment un chemin de sainteté, une vocation chrétienne magnifique, et nous nous émerveillons à la perspective des chemins divins que le Seigneur a ouverts pour nous sur la terre, des chemins qui conduisent tout droit au paradis.



[1] Card. Robert Sarah avec Nicolas Diat, Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Paris, Fayard, 2015, p. 172-174.

vendredi 5 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (3)

Ce qui importe donc avant tout pour un baptisé, ce n’est pas de réaliser une tâche déterminée, préparer le repas, conduire les enfants à l’école, organiser les vacances, exercer son métier, etc. Cela tout le monde le fait. Pour un chrétien, et c’est ce que l’Église attend de lui, fil s’agit de se sanctifier en préparant le repas, de se sanctifier en conduisant les enfants à l’école, de se sanctifier en organisant les vacances, de se sanctifier en exerçant son métier. C’est la même chose mais effectué dans une toute autre perspective, une perspective autrement attrayante et formidable.

« Pour moi, disait saint Josémaria, le travail d’une de mes filles membre de l’Opus Dei, qui est employée de maison, est de la même importance que le travail d’une de mes filles qui porte un titre nobiliaire. Dans les deux cas, la seule chose qui m'intéresse, c’est que le travail qu’elles effectuent soit un moyen et une occasion de sanctification pour elles-mêmes et pour les autres ; et le travail le plus important sera celui de la personne qui, dans sa propre occupation, et dans son propre état, devient plus sainte et accomplit avec le plus d’amour la mission reçue de Dieu. » Comme évoqué précédemment : qu’est-ce qui a le plus d’importance, le travail d’un ministre ou celui d’un balayeur des rues ? La réponse est identique : celui qui a le plus d’importance, c’est celui qui a été accompli avec plus d’amour de Dieu.(lire la suite)Nous ne nous situons pas au plan de la réussite humaine, mais à celui de la réussite surnaturelle. Soyons bien convaincus qu’il n’existe pas d’affaire plus important que celle de notre salut, de notre vie éternelle.

Rendre témoignage de sa foi avec naturel demande donc ce que saint Josémaria appelait « l’unité de vie ». Il expliquait ce concept en disant qu’il ne doit pas y avoir de compartiments étanches dans notre vie : d’un côté la vie de famille, d’un autre le travail, ou encore la vie de relation avec Dieu, les loisirs, etc. Mais que tout doit communiquer, imprimer sa marque aux autres aspects. Car nous sommes appelés à nous sanctifier par l’ensemble de nos actions, au risque d’être un pantin désarticulé. Parce que nous entendons nous sanctifier non seulement en participant à la messe dominicale ou en formulant quelques prières, seul ou en famille, mais aussi par tout le reste de notre vie. Autrement Dieu serait curieusement absent de la plus grande part de nos journées, qui perdraient de ce fait leur portée chrétienne, et seraient vécues comme si Dieu ne comptait pas pour nous, comme si elles étaient sans d’importance pour notre sanctification et pour l’évangélisation.

Il ne faut pas que nous en restions à l’horizontal, c’est-à-dire à accomplir des tâches que n’importe qui d’autre, à égalité de conditions, peut réaliser, peut-être même mieux que soi. Il convient de leur imprimer la verticalité, c'est-à-dire de les transcender, de leur donner une autre dimension en les faisant entrer dans la sphère de l’union à Dieu, de la prière.

Oui, vous avez bien entendu : de la prière. Un travail offert à Dieu se transforme en prière.

Si nous saisissons cela, nous comprenons de suite l’importance du travail professionnel et de toutes nos activités quotidiennes, même les plus banales, dans le plan de notre sanctification et de l’évangélisation.

Un théologien a fait remarquer que « l’ordre de Dieu à Adam « de cultiver [le jardin] et de le garder » emploie deux verbes hébreux, ‘aboda’ et ‘shama’. Deux mots riches, tous deux porteurs d’un double sens. Ils apparaissent ailleurs dans la Bible ; dans chaque cas pour décrire les devoirs ministériels des Lévites, la tribu des prêtres de l’ancien Israël. Le verbe ‘aboda’, souvent traduit par « servir », a en hébreu deux significations : le travail manuel ou bien le ministère sacerdotal, il peut suggérer les deux à la fois. Le verbe ‘shamar’ se traduit par « protéger » ou par « garder » et décrit la protection par les Lévites du lieu saint, le tabernacle, qu’ils gardent et protègent de la profanation.

Pour beaucoup de spécialistes de l’Écriture, l’auteur du Livre de la Genèse entendait suggérer tout cela dans le récit de la création d’Adam. Dieu créa Adam pour qu’il travaille et Il l’institua prêtre dans le temple cosmique. Ce n’étaient pas des activités séparées. Au commencement Adam a joui de l’unité de vie ; son travail était ordonné à l’adoration, il était en lui-même un acte d’adoration. À elle seule, la division du temps reflétait ce principe d’ordre. Dieu lui-même travailla six jours afin de sanctifier le septième en le rendant saint ; Dieu instaura le rythme du sabbat dans la structure de la création.

Par notre travail, nous pourrions ainsi adorer avec plus de perfection : adorer en travaillant »[1].

Le travail de l’homme revêt ainsi une valeur considérable dans le plan de la Rédemption. Le prouve le fait que Jésus lui-même ait voulu s’adonner à un métier. Si nous accomplissons notre propre tâche dans la perspective de notre sainteté et de cette d’autrui, cette tâche n’est jamais monotone, aussi répétitive soit-elle. Comme Monet le disait : « La Seine, je l’ai peinte toute ma vie, à toute heure, en toute saison. Je n’en ai jamais été las : elle est pour moi toujours nouvelle »[2].

Nous lisons dans un ouvrage de saint Josémaria : « Tu m’écris depuis ta cuisine, près du fourneau. L’après-midi commence. Il fait froid. À côté de toi, ta petite sœur (elle venait de découvrir la folie divine de vivre à fond sa vocation chrétienne) épluche des pommes de terre. Apparemment, penses-tu, son travail est le même qu’avant. Néanmoins il y a une si grande différence ! — C’est vrai : avant elle ne faisait “ qu’ ” éplucher des pommes de terre ; maintenant, elle se sanctifie en épluchant des pommes de terre. »

Voilà toute la différence de la part de quelqu’un qui a compris le sens profond de sa vocation chrétienne. Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenant conscience des implications d’une vie de foi, la personne en question a compris qu’elle ne pouvait pas se contenter d’éplucher des pommes de terre sans plus, mais qu’elle travaillait en présence de Dieu, pour la gloire de Dieu.

Saint Jean XXIII, devant qui j’ai eu l’honneur de jouer une modeste pièce de théâtre alors qu’il était nonce à Paris, disait que « le travail, grâce auquel on réalise sa propre perfection surnaturelle, contribue à répandre sur les autres les fruits de la Rédemption, et la civilisation dans laquelle on vit et travaille est pénétrée du levain évangélique »[3].

Le travail que nous réalisons, d’autres l’accomplissent aussi qui appartiennent à une autre religion, sont agnostiques ou se déclarent athées ou anticléricaux viscéraux. Et ils remplissent leur devoir peut-être mieux que vous, avec plus d’esprit professionnel, en étant plus brillants. Quelle différence existe-t-il donc entre leur travail et le vôtre ? Apparemment aucune.

Sauf précisément d’y introduire une portée spirituelle, de l’exécuter avec une vision d’éternité, en y apportant un supplément d’âme.

Dit autrement, le catholique que nous sommes ne peut en rester à l’horizontale, comme tout le monde. Sa conception de la vie et sa croyance en la vie éternelle, son amour de Dieu surtout l’amènent à ajouter la dimension verticale. À tout élever à l’ordre spirituel. Le travail change de perspective. Il n’est plus un simple gagne-pain ou l’occasion d’un épanouissement personnel et d’un service rendu à la société. Il devient une véritable prière. Il est accompli en présence de Dieu et offert à Dieu. Il nous fait participer à l’activité créatrice de Dieu, puisqu’il faut porter la création à son achèvement. Il est imitation de Jésus-Christ, qui a voulu exercer un métier, pour nous montrer la noblesse du travail. Il nous permet de développer notre personnalité d’enfant de Dieu. Et, si nous le déposons en esprit à l’autel, avec toute le reste de notre vie, il nous permet aussi de nous unir au Sacrifice rédempteur du Sauveur et, partant, d’être co-rédempteur avec lui.

Vous voyez l’immense portée d’un travail de l’homme réalisé dans une vision chrétienne de la vie. Je ne m’étends pas sur cette dimension évangélisatrice, puisque nous y reviendrons dans deux semaines.

Mais les perspectives que je viens d’ouvrir peuvent nous paraître difficiles à intégrer à notre vie. À tort. D’une part, ce serait ignorer la présence de la grâce que Dieu ne refuse jamais à qui la lui demande, et, d’autre part, ce serait ignorer que nous avons tous une obligation de rechercher la sainteté et de faire de l’apostolat.

[1] Scot Hann, Travail ordinaire grâce extraordinaire. Mon itinéraire spirituel dans l’Opus Dei, Paris, Le Laurier, 2009, p. 38.

[2] Monet, cité par G. Poteau, Le Déjeuner de Giverny [vie de Monet], Paris, Éditions Hors Commerce, 2006, p. 160.

[3] St Jean XXIII, enc. Pacem in terris

mardi 2 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (2)

Le rôle spécifique des laïcs dans l’Église

Cette sorte de définition du laïc nous permet d’en venir donc au rôle des laïcs dans l’Église.

Quand nous pensons à ce rôle, nous pensons peut-être spontanément à diverses fonctions comme assurer la lecture ou le service d’autel au cours de la messe. Le pape François a d’ailleurs institué récemment un ministère laïc de lecteur et d’acolyte. Ou bien nous envisageons le fait d’assumer la fonction de catéchiste, de participer à la chorale paroissiale, d’intervenir au Conseil des affaires économiques paroissial, de porter la sainte communion aux malades et aux personnes âgées ne pouvant pas se déplacer, de faire la quête ou de distribuer à l’entrée de l’église la feuille paroissiale préalablement mise en forme et imprimée…

Tout cela est nécessaire au bon fonctionnement de l’Église. Mais nous n’y trouvons pas d’indication satisfaisante sur le rôle des laïcs dans l’Église. En réalité, avec ces différentes tâches, encore une fois fort utiles, nous sommes bien loin de l’essentiel. S’il fallait se limiter à ces tâches, matérielles pour nombre d’entre elles, nous serions sans plus en présence d’une cléricalisation des laïcs, contre laquelle le pape François nous a mis en garde. (lire la suite)Au cardinal Marty, archevêque de Paris, lui disant que « la mission propre des laïcs est d’ordonner les structures séculières selon le vouloir divin », st Josémaria répondit : « Oui, mais il faut d’abord qu’ils soient bien ordonnés en eux-mêmes : en étant des hommes et des femmes de vie intérieure profonde, des âmes de prière et de sacrifice. Autrement, au lieu d’ordonner ces réalités familiales et sociales, ils y introduiront leur propre désordre personnel. » Et ils se feront absorber par l’esprit mondain, au lieu de communiquer un style de vie chrétien au monde.

Cette remarque me semble très éclairante. Elle nous apporte au fond la réponse à notre question sur le rôle des laïcs. Ce que l’Église attend avant tout des fidèles laïcs, ce que le monde attend d’eux prioritairement, c’est qu’ils soient de bons catholiques, cohérents avec les engagements de leur baptême, donnant l’exemple de personnes qui, conscientes de leurs défauts, savent les reconnaître, demander pardon le cas échéant, et lutter pour progresser sur la voie de la sainteté.

L’appel à la sainteté est qualifié, par le concile, d’appel universel à la sainteté. Il ne s’adresse donc pas, encore une fois, aux seuls prêtres et religieux. Mais de la place qu’ils occupent dans la société, les laïcs, je cite, « sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d’un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l’esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité ».

Nous voyons ici que l’appel à la sainteté se complète par un appel à l’évangélisation. Tous deux sont inséparables. Notre Seigneur disait de lui-même : « Je me sanctifie pour eux », pour les autres. La recherche de notre sainteté personnelle, d’un progrès dans la pratique de la foi et des vertus n’a de sens qu’en fonction des autres, précisément parce que vous vivez au milieu du monde.

Ajoutons encore qu’il revient aux laïcs, « d’une manière particulière, d’éclairer et d’orienter toutes les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu’elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ et soient à la louange du Créateur et Rédempteur ».

J’ai intitulé cette conférence « le rôle des laïcs dans l’Église et dans le monde ». Le décret conciliaire sur l’apostolat des laïcs l’explique en rappelant que « le laïc, qui est tout ensemble membre du peule de Dieu et de la cité des hommes n’a qu’une conscience chrétienne. Celle-ci doit le guider sans cesse ans les deux domaines » (n° 5).

Dans un document publié par le dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, nous pouvons lire qu’il existe « une différence fondamentale entre un bon mariage et un mariage saint ; dans un bon mariage, les conjoints s’efforcent de s’aimer ; dans un mariage saint, les époux remettent leurs efforts entre les mains de Dieu et leurs actions vont donc au-delà de ce qu’ils sont capables de faire, montrant ce que Dieu peut faire ». Nous pourrions gloser cette affirmation en mettant famille à la place de mariage, ou père et mère, chef d’entreprise, professionnel de quelque nature que ce soit.

samedi 30 mars 2024

Le rôle des laïcs dans l’Église et dans le monde (1)

Si vous prenez l’autoroute A 24, au sortir de Rome, 118 kms plus loin vous arrivez à Abruzzo. À peine entrés dans la ville, vous êtes invités à vous rendre au sanctuaire de la Madonna dei Bisognosi. Ce sanctuaire conserve une grande fresque du jugement universel, bien conservée et restaurée. Elle est significative d’une certaine « idéologie ». Y sont représentés au paradis des sœurs, des clercs et des religieux ; au purgatoire et dans l’enfer, se trouvent des représentants de pratiquement tous les métiers et toutes les professions existant à l’époque.

Le code de droit canonique de 1917, c'est-à-dire la législation universelle de l’Église catholique, parlait d’une sainteté des clercs et des religieux plus grande que celle des laïcs

L’Église était divisée en Église docens – enseignante – et Église discens – enseignée. Les fidèles laïcs n’avaient qu’à obéir à la hiérarchie. Ils étaient considérés comme des chrétiens de seconde zone, inférieurs aux prêtres et aux religieux, et pouvant difficilement se sauver au milieu des récifs de l’océan du monde.

Le peuple chrétien semblait s’accommoder vaille que vaille d’une telle situation subordonnée, même s’il ne manquait pas de fidèles désireux de grandir en sainteté et souffrant de ce que leurs aspirations légitimes fussent bridées.

Cette perspective pessimiste, méfiante et méprisante à l’égard des laïcs, a été fort heureusement renversée par le concile Vatican II. Les pères conciliaires nous renvoyaient ainsi aux origines de l’Église où ces distinguos douteux n’étaient pas de mise.

Quelques auteurs ont préparé cette révolution copernicienne. Je me limiterai à évoquer ici l’apport de saint Josémaria, fondateur de l’Opus Dei, auprès de qui j’ai eu la grande grâce de vivre. Il a été souvent qualifié de pionnier du concile Vatican II.

En effet, il a redécouvert le sacerdoce commun de tous les fidèles, à savoir que, du fait de la réception du baptême, nous naissons tous également à la grâce, nous devenons tous identiquement enfants de Dieu, et nous sommes tous appelés à une même sainteté, la sainteté de Dieu. Autrement dit, en raison du baptême, il existe une égalité radicale de tous les fidèles. Tous possèdent les mêmes droits fondamentaux et les mêmes devoirs fondamentaux dans l’Église. Ce n’est qu’ultérieurement, par la réception d’un autre sacrement, le sacrement de l’ordre sacré, qu’une diversification fonctionnelle intervient. (lire la suite)Le sacerdoce ministériel, essentiellement  distinct du sacerdoce commun des fidèles, est à son service.

J’ai mentionné l’existence de droits et de devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs. Permettez-moi une incise. Reconnus et proclamés par le concile Vatican II, ils ont été repris dans la législation universelle de l’Église, avec une valeur constitutionnelle. Cela signifie que toute disposition prise par l’autorité ecclésiastique doit toujours tenir compte de ces droits et devoirs fondamentaux et les respecter. Et qu’ils s’imposent comme critère herméneutique à l’heure d’interpréter toute loi ecclésiastique.

 

Une sainteté unique

Tout baptisé est appelé à la sainteté, avons-nous dit. Il convient de préciser que, en toute logique, mais c’est ce qui avait été perdu de vue depuis des siècles, il n’existe qu’une sainteté, qu’un modèle : la sainteté de Dieu.

Certes, par notre lutte ascétique de tous les jours, nous ne parvenons pas tous au même degré de sainteté. Mais cela ne saurait dépendre de la condition de chacun : marié, célibataire, jeune ou âgé, laïc, prêtre ou membre de la vie consacrée, ni d’avoir embrassé tel métier plutôt que tel autre, de posséder une culture déterminée, etc. Notre sainteté est fonction de la générosité avec laquelle nous nous efforçons d’aimer Dieu tout au long de notre vie, avec l’aide de la grâce, et de notre rectification, chaque fois que nous avons fait fausse route, de nos demandes de pardon.

Nous pouvons illustrer ce fait par la remarque suivante de saint Josémaria. Qu’est-ce qui est le plus important, le travail d’un balayeur de rue ou celui d’un ministre ? Il répondait : Cela dépendra de la droiture d’intention avec laquelle chacun agit, de l’amour de Dieu qu’il met à réaliser son travail, de son esprit de sacrifice. Si le balayeur de rue met plus d’amour à accomplir sa tâche que le ministre, son travail a plus de valeur aux yeux de Dieu, et donc en vue de la vie éternelle. Nous suivons ici un critère qui n’est pas humain, mais surnaturel, celui du monde dans lequel notre baptême nous a introduit, celui dans lequel nous escomptons bien demeurer pour l’éternité.

Ce principe essentiel étant posé, nous pouvons nous interroger sur le rôle des laïcs dans l’Église.

 

La notion de laïc

Mais auparavant, il convient de préciser ce qu’il faut entendre par laïc, car une certaine confusion subsiste. Nous disposons à cet égard principalement du chapitre IV sur les laïcs de la constitution sur l’Église du concile Vatican II et de l’exhortation apostolique post-synodale de saint Jean-Paul II, Les fidèles laïcs du Christ, de 1988.

Nous lisons dans le texte conciliaire que, « sous le nom de laïc, on entend ici l’ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l’ordre sacré et de l’état religieux sanctionné dans l’Église, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien ».

Il s’agit donc des baptisés tels qu’ils sortent des fonts baptismaux, des laïcs tout court, dont le statut n’a subi aucune modification par suite d’un engagement ultérieur, comme c’est le cas des membres ordonnés et de ceux qui embrassent la vie consacrée. Ce sont ceux qui exercent dans le monde la mission propre au peuple chrétien tout entier, sans qu’il leur soit besoin de recevoir une consécration ultérieure.

La constitution dogmatique précise ensuite que « le caractère séculier – c’est-à-dire le fait de vivre dans le monde – est le caractère propre et particulier des laïcs ». Les membres de l’ordre sacré vivent, certes, eux aussi, dans le monde, mais ils sont, « en raison de leur vocation particulière, principalement et expressément ordonnés au ministère sacré ». Quant aux fidèles qui appartiennent à la vie consacrée, « en vertu de leur état, [ils] attestent d’une manière éclatante et exceptionnelle que le monde ne peut se transfigurer et être offert à Dieu en dehors des Béatitudes ». Mais les laïcs se trouvent par vocation propre et par leur style de vie au milieu du monde au contact direct avec leurs semblables, égaux à eux.

Moyennant quoi, précise encore la constitution dogmatique sur l’Église, « la vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des affaires temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu ».)))