dimanche 2 janvier 2022
dimanche 5 décembre 2021
A l'école de saint Joseph. Les secrets du père idéal
Je
remercie le Père Kissi et Madame Laroche de leur invitation à venir ici, à
L’Ile-sur-la-Sorgue, parler du glorieux saint Joseph. En acceptant avec joie
cette invitation, qu’il leur a fallu renouveler à deux reprises, compte tenu
des événements que nous connaissons, j’ignorai où j’allais mettre les
pieds ! Vous vous apprêtez, me suis-je laissé dire, à vous rendre en
pèlerinage à Cotignac, pèlerinage lui aussi reporté. C’est dire que saint
Joseph occupe déjà une place de choix dans votre ville renommée.
Mais en outre j’y découvre notamment non sans admiration un gîte Saint-Joseph, une maison de vacances Clos saint Joseph, un vin Saint Joseph, une salle saint Joseph à la Congrégation, un pôle d’activité Saint-Joseph à Thor, à six kilomètres d’ici. Sans compter un certain nombre de toiles de votre prestigieuse et active collégiale Notre-Dame des Anges, telles le Songe de saint Joseph ou la Fuite en Égypte.
Saint Joseph est donc bien loin d’être un inconnu chez vous. De ce fait, j’ai l’impression de vendre du miel à l’apiculteur. Qu’importe ! Un adage classique affirme : De Maria numquam satis, l’on ne parlera jamais trop de Marie. Nous n’avons pas crainte de le référer à notre saint : De Joseph numquam satis. Nous ne parlerons jamais trop de saint Joseph. Le sujet est extrêmement vaste. J’ai trouvé un ouvrage de 2000 pages publié à la fin du XXe siècle consacré exclusivement à la bibliographie joséphine !
Il me fallait donc, vous vous en doutez, opérer un choix. D’où le titre donné à cette conférence : « A l’école de saint Joseph. Les secrets du père idéal. » Je me propose tout bonnement de vous en commenter les deux termes, « à l’école de saint Joseph » d’abord, « les secrets du père idéal » ensuite. Mais j’aimerais introduire mon propos, si vous me le permettez, par des considérations sur saint Joseph et la France, et de le conclure par quelques exemples de dévotion joséphine d’ordre pratique.
1) Notre
premier point porte donc sur saint Joseph et la France
Il
est bien normal d’examiner cet aspect, en tant que catholique et en tant que
Français. Catholique d’abord, parce que saint Joseph joue un rôle essentiel
dans l’histoire du salut et dans la genèse du christianisme. Le temps de l’avent
dans lequel nous nous trouvons en est l’illustration. Français ensuite, parce
que notre pays a été consacré à saint Joseph par le roi Louis XIV, événement
majeur que vous ignoriez peut-être.
Voici
un peu plus de deux ans et demi, nous avons assisté pétrifiés et le cœur
endoloris au gigantesque incendie qui, 14 heures durant, a ravagé la cathédrale
Notre-Dame de Paris. Vous en gardez tous les images dramatiques en mémoire.
Mais avez-vous fait attention à ceci ? La Providence a voulu que le groupe
sculpté par Nicolas Coustou demeurât intact au fond du chœur de la cathédrale :
la Vierge de Pitié, flanquée des monarques Louis XIII et Louis XIV agenouillés
et lui offrant leur couronne. Le premier, par un vœu explicite et solennel a
consacré la France, tout le monde le sait, à la Vierge Marie, au titre de son
Assomption, aux lieu et place de Monsieur saint Michel.
L’archange
saint Michel qui reste néanmoins notre protecteur attitré, comme le pape
François l’a rappelé le 29 septembre dernier, lors de la solennité des saints
archanges Michel, Gabriel et Raphaël. Invoquons, disait-il à des pèlerins
français, « saint Michel, protecteur de la France, de veiller sur votre
nation et de la garde dans la fidélité à ses racines et de conduire votre pays
sur les voies d’une unité et d’une solidarité toujours plus grandes ».
Louis
XIV pour sa part, le dire suscite habituellement l’étonnement du public, le roi
Soleil a voulu consacrer notre pays à saint Joseph.
Relatons
les faits qui l’ont à prendre une telle mesure. Le 3 novembre 1637, à Notre-Dame-des-Victoires, à Paris, Denys Antheaume,
frère Fiacre de Sainte-Marguerite en religion, convers du monastère des
Augustins, voit la Sainte Vierge lui apparaître à quatre reprises. Alors que le
roi Louis XIII et la reine Anne d’Autriche tardaient à avoir un descendant,
Marie présente un enfant au frère, tout en précisant : « Ce n’est pas
mon fils, mais l’enfant que Dieu veut donner à la France. »
Elle demande que la reine effectue trois pèlerinages, l’un à
Notre-Dame-de-Paris, le second à Notre-Dame-des-Grâces, en Provence, et le
dernier à Notre-Dame-des-Victoires, à Paris. Frère Fiacre décrit le sanctuaire
de Provence, où il n’est jamais allé, moyennant quoi l’on accorde crédit à sa
vision.
Louis XIV naissait l’année suivante, neuf mois exactement après
l’apparition à saint Fiacre, dont les calèches prendront le nom, car leur
conducteur y plaçait l’effigie du saint. Le dauphin reçoit le prénom de
Dieudonné
Le 21 février 1660, Louis XIV, désormais âgé de
21 ans, se rend à Cotignac pour remercier Notre-Dame-des-Grâces de sa
naissance.
Trois mois et demi plus tard, le 7 juin 1660, saint Joseph apparaît à
Cotignac à un berger très éprouvé par la soif, Gaspard Ricard d’Estienne. C’est
une des rares apparitions reconnues, sinon la seule, du glorieux patriarche. Le
même jour, Louis XIV se trouvait à la frontière d’Espagne pour y accueillir
l’infante Marie-Thérèse, la nouvelle reine de France, qui traversait la
Bidassoa pour se rendre
au mariage royal organisé à Saint-Jean-de-Luz.
L’apparition de saint Joseph avait fait grand bruit à la Cour et chez deux princesses espagnoles, les
plus proches du souverain : sa mère, Anne d’Autriche, et l’infante,
Marie-Thérèse d’Espagne.
Le 31 janvier 1661, Monseigneur Joseph Ondedei, évêque de Fréjus,
reconnaît officiellement les apparitions de saint Joseph à Cotignac, et en
approuve le culte.
La Saint-Joseph est alors reconnue comme fête en France avec une rapidité
confondante. Qu’on en juge.
Le cardinal Mazarin, qui assure la régence, meurt, dans la nuit du 8 au 9
mars 1661. Les 9 et 10 mars, Louis XIV, âgé de 22 ans, prend personnellement le
pouvoir et s’entoure de deux conseils pour faire entériner ses décisions. Sa
dévotion à saint Joseph va se manifester tambour battant.
Le 12 mars 1661, donc trois jours après avoir assumé ses responsabilités
de souverain, Louis XIV décide de solenniser sans retard le culte de saint
Joseph : sa fête sera chômée dans tout le Royaume. Les rares évêques ayant
pu être contactés à temps donnent leur accord.
Le lendemain, 13 mars, pendant la réunion du Conseil d’En-Haut, le roi
interdit donc tout commerce et tout travail tous les 19 mars à partir de 1661.
Ce fait est connu et rapporté par les historiens du Grand Siècle.
Parallèlement, Louis XIV consacre le royaume à saint Joseph. La cérémonie
a lieu dans l’intimité, dans la chapelle du Louvre, le samedi 19 mars 1661.
L’après-midi de ce même 19 mars, après les vêpres, Bossuet, occupé à
prêcher le Carême aux carmélites du Faubourg-Saint-Jacques, célèbre, dans leur
chapelle, les gloires du nouveau protecteur de la patrie, en présence d’Anne
d’Autriche, sur le thème Le Seigneur s’est choisi un homme selon son cœur.
Le célèbre évêque de Meaux avait accepté, au pied levé, de ne pas prêcher
sur le carême et de composer, en grande hâte, ce qui sera son deuxième Panégyrique à saint Joseph. Citons, pour
conclure, la belle envolée par laquelle se termine ce sermon :
« Joseph a mérité les plus grands honneurs, parce qu’il n’a jamais été
touché de l’honneur ; l’Église n’a rien de plus illustre, parce qu’elle n’a
rien de plus caché. Je rends grâces au roi d’avoir voulu honorer sa sainte
mémoire avec une nouvelle solennité. Fasse le Dieu tout-puissant que toujours
il révèle ainsi la vertu cachée ; mais qu’il ne se contente pas de
l’honorer dans le ciel, qu’il la chérisse aussi sur la terre. Qu’à l’exemple
des rois pieux, il aille quelquefois la forcer dans sa retraite… Si votre Majesté,
Madame, inspire au roi ces sages pensées, elle aura pour sa récompense la
félicité. »
Nous voyons que les prédicateurs n’avaient pas leur langue dans la poche
quand ils s’adressaient aux souverains, qui ne s’en formalisaient pas, tout au
contraire.
2) Venons-en
maintenant au titre donné à cette conférence, concrètement à son premier point,
« à l’école de saint Joseph ».
Pourquoi
nous mettre à l’école de saint Joseph ? Parce qu’incontestablement nous ne
pouvons trouver quelqu’un plus à même de nous introduire auprès de Jésus et de
Marie. Il les connaît mieux que quiconque. Il sait ce qu’ils aiment le plus. Il
a tout un patrimoine à nous transmettre, toute une histoire à nous relater,
tout un monde à nous découvrir.
Un
monde à notre portée. Celui d’une vie ordinaire, vécue sans fracas, dans
l’humilité, dans le service continuel des plans de Dieu qui, pour lui, Joseph,
lui demandent d’être le chef de la Sainte Famille, d’exercer l’autorité d’un
père, c’est-à-dire à l’époque celle d’un véritable patriarche.
Joseph
se sent, se sait, le moins digne des trois. C’est à lui cependant que revient
le gouvernement de la vie de tous les jours, de prendre les décisions réclamées
par les circonstances, de veiller constamment au bien de ce Jésus qui n’est
autre que le Fils de Dieu descendu sur terre, vrai Dieu et vrai Homme, comme
nous le confessons dans le symbole dit d’Athanase. Il est de nos jours avéré
qu’il a été composé en réalité par notre voisin, saint Césaire d’Arles, donc au
début du VIe siècle.
L’écrivain
et apologiste chrétien Ernest Hello s’émerveille : « Il commanda. La
mère et l’enfant obéirent. Il me semble que le commandement dut inspirer à
saint Joseph des pensées prodigieuses. Il me semble que le nom de Jésus devait
avoir pour lui des secrets étonnants. Il me semble que son humilité devait
prendre, quand il commandait, des proportions gigantesques, incommensurables
avec les sentiments connus. Son humilité devait rejoindre son silence dans son
lieu, dans son abîme. Son silence et son humilité devaient grandir appuyés l’un
sur l’autre. »
Nul
n’a eu autant d’intimité que lui avec sa chère Marie, son épouse, et avec notre
Seigneur. C’est à lui qu’est incombée la tâche d’initier Jésus au métier de
menuisier-charpentier.
Comme
saint Jean-Paul II l’a relevé, « l’Église vénère Joseph de Nazareth comme
« artisan », comme travailleur, vraisemblablement charpentier de
profession. Parmi tous les travailleurs de la terre, il a été le seul et unique
qui a vu chaque jour se présenter à son établi Jésus-Christ, Fils de Dieu et
Fils de l’homme. Et c’est lui, Joseph, qui lui a appris son métier, l’y a engagé, lui a enseigné comment
surmonter les difficultés et vaincre les résistances de l’élément
« matériel », et comment tirer de la matière informe les produits de
l’artisanat humain. C’est lui, Joseph de Nazareth, qui a lié une fois pour
toutes le Fils de Dieu au travail humain. Grâce à lui, Jésus appartient également au monde du travail et rend témoignage devant Dieu de sa très
haute dignité. »
Ceci
constitue un encouragement vigoureux pour nous tous, qui apprenons ainsi à
sanctifier notre travail et toutes nos activités en offrant leur
accomplissement à Dieu pour qu’ils contribuent à l’évangélisation du monde.
C’est
Joseph qui a emmené Jésus à la synagogue accomplir ses devoirs religieux le
jour du sabbat. Marie n’a pas été en reste bien sûr dans l’éducation
quotidienne de son Fils.
Si bien que Jésus n’avait pas de mal à conserver Marie
et Joseph présents à l’esprit quand il a commencé à prêcher. N’avait-il pas parcouru
avec eux le chemin menant de Nazareth à Bethléem, avant même sa naissance ?
Et celui de Nazareth à Jérusalem ? Ne sont-ce pas eux qui l’ont conduit à la
synagogue, dès sa tendre enfance, pour y prier le Tout-Puissant, alors même
qu’ils connaissaient sa véritable condition ? Mais pouvaient-ils se
singulariser ?
Et quand Jésus priait avec ses apôtres, il se
souvenait de ces moments de prière familiale, au cours desquels tous trois
psalmodiaient les hymnes à l’honneur et à la gloire de son Père.
Que de souvenirs du jour de la Présentation au
Temple – Jésus-Dieu était alors conscient –, de chaque
montée à Jérusalem depuis l’âge de douze ans ; des offices et du culte
suivis avec une ferveur inégalée dans la synagogue de Nazareth aux jours et aux
fêtes prescrits…
Comment Jésus pouvait-il prêcher sans penser à celui
qui lui avait appris à prononcer le tétragramme sacré du Tout-Puissant et à
invoquer Dieu du doux nom d’Abba, papa…
Nous
pouvons imaginer facilement que Jésus avait pris des traits, des expressions,
des façons de parler, de travailler, de celui qui lui était de fait son père
aux yeux des hommes. Si nous nous appliquons ce constat, nous en tirerons la conclusion
suivante : en nous mettant pour de bon à l’école de saint Joseph, en
apprenant de lui, nous ressemblerons alors à Jésus-Christ.
Mais
il faut affirmer aussi que Joseph, et Marie également, n’ont cessé d’être
instruits par Jésus. Il faisait tout à la perfection, il vivait toute les
vertus au degré absolu, ses réactions étaient toujours éminemment surnaturelles.
Marie et Joseph ne cessaient de remercier le Tout-Puissant de la grâce qui leur
était faite d’avoir Dieu sous leur toit ; ils s’en émerveillaient jour
après jour. L’exemple du Seigneur les tirait davantage vers le haut, autrement
dit les sanctifiait toujours plus.
Si l’un ou
l’autre d’entre vous a participé à une activité spirituelle organisée par
l’Opus Dei, il se sera peut-être étonné d’entendre invoquer saint Joseph en
tant que « mon père et seigneur ».
Quelle est la
raison de cette appellation ? Tout simplement, parce que dès le début de son
existence saint Joseph a voulu entrer dans l’Opus Dei et en prendre la tête.
Comme il le faisait avec la Sainte Famille de Nazareth. Or, comme saint
Josémaria se considérait « un fondateur sans fondement », il a voulu
s’appuyer sur saint Joseph, s’en remettre pleinement à lui.
Saint Joseph
peut alors remplir un rôle particulièrement important envers chacun d’entre
nous. Il nous apparaît comme un maître de vie intérieure. Il a éduqué Jésus
dans la foi, disions-nous ; il lui a appris à prier, à s’adresser en tant
qu’homme à son Père. Il lui a enseigné les gestes et les pratiques de la foi
juive. Nous l’imaginons penché avec Marie sur le berceau de leur Enfant et lui
chanter une berceuse pour l’aider à s’endormir, et s’extasiant sur cet
Enfant-Dieu abandonné au sommeil !
L’Évangile
atteste qu’au retour du temple, à l’âge de douze ans, il était soumis à Marie
et à Joseph, ce qui signifie que, pendant tout ce temps, l’unique occupation du
Rédempteur fut de leur obéir : c’était à Joseph de commander, comme chef
de cette petite famille, et à Jésus d’obéir, comme sujet ; de sorte qu'il ne faisait jamais un pas ni une action,
qu’il ne prenait jamais de nourriture ni de repos, que selon les ordres de Joseph. Mais nous pouvons penser quant à
nous que Jésus avait suffisamment de liberté d’esprit, et plus encore d’amour,
pour prendre des initiatives et rendre de nombreux services sans que Joseph ou
Marie aient à les lui demander.
Si nous prenons
Joseph pour père et seigneur de notre âme, pour maître de notre vie intérieure,
il nous aidera à imiter son Fils Jésus-Christ en étant fidèles à notre vocation
chrétienne dans toutes les activités externes, à les sanctifier comme lui-même a
sanctifié sa vie de tous les jours vécue sous le regard de Dieu, en présence de
Dieu. Il s'agit en définitive de la sanctification de la vie quotidienne, à
laquelle chacun doit s'efforcer en fonction de son état et qui peut être
proposée selon un modèle accessible à tous.
Comme saint
Paul VI le relevait, « saint Joseph est le modèle des humbles, que le christianisme
élève vers de grands destins ; il est la preuve que, pour être de bons et
authentiques disciples du Christ, i1 n'y a pas besoin de « grandes
choses » : il faut seulement des vertus communes, humaines, simples,
mais vraies et authentiques. »
Paul Claudel écrivait
à un de ses amis : « Joseph est le patron de la vie cachée.
L’Écriture ne rapporte pas de lui un seul mot. C’est le silence qui est père du
Verbe. Que de contrastes chez lui ! Il est le patron des célibataires et
celui des pères de famille, celui des laïcs et celui des contemplatifs !
Celui des prêtres et celui des hommes d’affaires ».
Qu’est-ce que la vie
intérieure, sinon fréquenter Dieu ? Saint Josémaria répondait ainsi à
cette question : « Et qui a
fréquenté Dieu et la Mère de Dieu avec plus d’intimité que saint
Joseph ? Ce n’était pas un vieillard, mais un homme jeune, fort, robuste, plein de vertus et de force.
Saint Joseph a été, sur
terre, le protecteur de Dieu. Comme c’est beau et vraiment incroyable ! Protéger le Fils de Dieu, le Verbe
incarné. Vous savez, poursuivait le fondateur de l’Opus Dei, que, dans
l’immense océan de la Trinité et de l’Unité de Dieu, là où une Personne se
trouve, les deux autres y sont aussi nécessairement. Donc saint Joseph, qui fréquentait familièrement
Dieu le Fils avait aussi une
fréquentation familière de Dieu le Père et de Dieu le Saint-Esprit. J’ai
l’habitude de lui dire très souvent
pendant la journée : Saint Joseph, mon Père et Seigneur, que j’aime tant,
conduits-moi à Marie et à Jésus. Jésus me conduira au Père. Et le Père et le
Fils me conduiront jusqu’à l’Esprit Saint, qui procède des deux. »
Ce recours au
saint patriarche nous ancre donc plus profondément dans l’intimité de la Très
Sainte Trinité, nous apprend à sentir la proximité de Dieu, à l’adorer au plus
profond de notre cœur, à aimer tous les événements comme autant de
manifestations de l’amour paternel de Dieu à notre égard.
En tant que
maître de vie intérieure, nous pouvons nous adresser à lui en ces termes :
« Saint Joseph, notre Père et Seigneur, toi, très chaste, très pur, qui as
mérité de porter l'Enfant Jésus dans tes bras, et de le laver, et de
l’embrasser, apprends-nous à devenir des familiers de notre Dieu, à être purs
et dignes d’être d’autres Christs. Et apprends-nous à faire comme le
Christ : à rendre divins nos chemins (qu'ils soient obscurs ou
lumineux) ; et à apprendre aux hommes à faire de même en leur disant
qu'ils peuvent avoir en permanence sur la terre une extraordinaire efficacité
spirituelle » (Forge, n° 554).
Cet enseignement
du saint patriarche, sur quoi va-t-il porter fondamentalement ? Il me
semble que la contribution que nous pouvons attendre du tendre époux de Notre
Dame, consiste à nous apprendre à aimer la Volonté de Dieu, dans toutes ses
manifestations, dont certaines sont coûteuses, comme lorsqu’un recensement
décrété par l’empereur l’oblige à se transporter à Bethléem alors que Marie est
sur le point d’accoucher ; comme lorsque l’ange lui demande en songe de
fuir en toute hâte, en pleine nuit, avec l’Enfant et sa Mère et se rendre en Égypte,
sans plus de précision, car le roi Hérode veut faire périr celui en qui il voit
un concurrent ; comme lorsque Jésus reste trois jours au Temple à l’insu
de ses parents.
Jésus ayant
voulu naître et vivre comme tous les humains, sans faire usage de sa
toute-puissance ni revendiquer des droits souverains, il est venu à nous dans
une famille modeste, certes considérée de tous dans le village de Nazareth et
aux alentours, mais que rien ne distingue vraiment. Si ce ne sont les qualités
dont chacun des trois membres est orné. Jésus aurait pu naître dans un palais
royal, s’entourer d’une armée de serviteurs, exercer un pouvoir temporel. Rien
de tout cela n’entre dans ses plans.
Il choisit
l’humilité pour nous apprendre l’orientation désirable pour notre propre
existence. Il associe Joseph et Marie à ses choix. Il s’appuie sur eux comme
premiers collaborateurs de son œuvre de Rédemption, les plus sûrs, les plus à
même de le comprendre et de s’engager à fond à ses côtés.
Nous pouvons donc
apprendre de la foi de Joseph, de l’obéissance de Joseph, de son esprit de
pauvreté, de son assiduité au travail, de son dévouement de tous les instants,
de sa patience dans l’adversité, de son affection envers Jésus et Marie, de son
exquise pureté, de la prudence dans ses décisions, de son honnêteté dans ses
relations commerciales, de sa disponibilité aux plans de Dieu, de sa piété
jamais mise en défaut, de sa vie contemplative, etc.
En tant qu’enfants de
Dieu, nous sommes appelés, nous aussi, à être des âmes contemplatives, au
milieu du monde, dans nos occupations habituelles. Pour cela, il convient de
vivre très unis à Jésus, à Sainte Marie… et à saint Joseph. Il était le chef de
famille dans le foyer de Nazareth ; c’est pourquoi il est naturel de nous
lui demander de veiller sur la nôtre, et, en tant que patron de l’Église
universelle, d’intercéder pour que l’Église s’étende au monde entier, pour que
nous soyons nombreux à louer Dieu et à lui rendre grâce.
En outre, Joseph se
présente à nous comme un modèle pour
notre vocation de chrétien courant, d’homme et de femme de la rue. Il a
su rester caché à un point tel qu’il n’apparaît pratiquement pas dans les
Évangiles. Or, c’est l’homme qui a eu le privilège de porter dans ses bras
Jésus-Christ, qui en a pris soin et l’a protégé. Il a travaillé comme nous,
dans une tâche professionnelle, dans un métier, ordinaire, monotone peut-être,
mais réalisé avec amour, ce qui lui enlève toute monotonie. Il est malheureux
que nous, les chrétiens, nous ayons oublié saint Joseph pendant des
siècles ; en Occident, pratiquement jusqu’au XVIe siècle.
En décrétant une année
joséphine, le pape François nous aide à le retrouver, à nous éprendre de lui, à
le fréquenter.
3) Nous
en venons ainsi au deuxième terme de l’exposé : les secrets du père idéal.
Quels sont alors
les secrets du père idéal ? Nous y avons partiellement répondu, me
semble-t-il. Nous tournons évidemment nos regards vers la Sainte Famille. Selon
saint Jean Damascène, pour bien remplir sa mission, Dieu donna à saint Joseph,
envers Jésus, l’affection d’un père, afin qu’il gardât Jésus avec une grande
tendresse ; il lui donna la sollicitude d’un père, afin qu’il l’environnât
de tous les soins possibles ; il lui donna, enfin, l’autorité d’un père,
afin qu’il eût l’assurance d’être obéi en tout ce qu’il ordonnerait touchant la
personne du Sauveur.
Assurément, « Joseph était la grande affection de
Jésus-Christ, fait remarquer le fondateur de l’Opus Dei ; Marie
était sa Mère, qu’il aimait à la folie. Nous allons donc avoir une grande
dévotion pour saint Joseph, une dévotion tendre, empreinte de délicatesse, fine
et affectueuse. Nous l’appelons notre Père et Seigneur. Eh bien ! Allons
constamment à lui comme des enfants ! Et, par lui, à Marie, en dialoguant avec eux deux. Avez-vous vu
les représentations de la Sainte Famille avec l’Enfant au milieu, la Sainte
Vierge à sa droite et saint Joseph à sa gauche, le tenant par la main ? Eh
bien ! Cette fois-ci, c’est nous
qui prenons la main de Marie et de Joseph, qui nous conduiront ainsi
jusqu’à Jésus. Vous commencerez à le fréquenter, et de la sorte nous nous
éprendrons de sa Très Sainte Humanité. »
Sommes-nous conscients
d’être aimés tout spécialement de Joseph ? « Saint Joseph, comme la
Sainte Vierge, doit aimer singulièrement les pauvres pécheurs, puisque sans le péché, il n’était pas
nécessaire qu’il y eût un Rédempteur, et par conséquent Marie n’aurait pas été
mère d’un Dieu, Joseph n’aurait pas été le père nourricier de ce Dieu fait
homme, ni le glorieux époux de la Vierge… C’est pour cela, affirme saint
Liguori, et plusieurs saints docteurs avec lui, que la Vierge Marie est le
refuge et l’avocate des pécheurs ; et saint Joseph, au même titre, sera
leur défenseur et leur appui. »
Joseph « a transmis
au petit Jésus qui grandissait à côté de lui le sens de cette joyeuse
disponibilité avec laquelle il reprenait chaque matin son travail quotidien,
déclarait un jour le pape Wojtyla. Pour cette raison aussi saint Joseph est mis
sous les yeux du peuple chrétien comme un modèle lumineux vers lequel tous les pères devraient se
tourner au moment des choix concrets que leur impose la responsabilité
d’une famille ».
Joseph
est aussi un époux exemplaire. Marie confiait à sainte Brigitte de Suède – elle
le rapporte dans le récit de ses Révélations :
« Joseph m’a servi comme sa souveraine, et, de mon côté, je me suis
abaissée jusqu’à lui rendre les plus petits services.
Quant aux
richesses, nous ne gardions pour nous, Joseph et moi, que ce qu’il nous fallait
pour nous donner les forces nécessaires dans le service de Dieu. Nous faisons,
par amour de Dieu, le sacrifice du superflu de notre entretien, et nous le
donnions aux pauvres. D’un autre côté, nous étions toujours contents du peu que
nous avions.
De toute
éternité j’avais été destinée à être assise sur un trône sublime, à être
honorée au-dessus de tous les hommes. Cependant, dans mon humilité, je ne
dédaignais pas de servir Joseph, de préparer tout ce qui nous était nécessaire,
à lui et à moi.
En me
servant, Joseph n’a jamais laissé tomber de ses lèvres aucune parole de
légèreté, de murmure ou de colère. Il était très patient dans la pauvreté, très
actif au travail, quand il le fallait, très doux à l’égard de ceux qui lui
parlaient durement, très prévenant dans les services qu’il me rendait, très
attentif à me défendre contre ceux qui attaquaient ma virginité, le très fidèle
témoin des merveilles divines.
Il était
si bien mort au monde et à la chair, qu’il ne désirait que les choses du ciel.
Il avait
une telle foi aux promesses de Dieu, qu’il s’écriait fréquemment :
Puissé-je vivre assez pour voir l’accomplissement de la volonté de Dieu !
Il a peu
fréquenté les hommes et leurs assemblées. Son unique désir était d’obéir aux
lois du Seigneur.
Aussi
maintenant sa gloire est grande. »
Comment augmenter notre
affection envers le glorieux patriarche ? L’affection naît de mille
choses. En voyant simplement une personne, elle nous revient ou ne nous revient
pas immédiatement.
Eh bien ! Si nous
contemplons saint Joseph à côté de la très Sainte Vierge, et travaillant avec
Jésus plus que Jésus ne travaille avec lui, nous constatons aisément que cet homme était remarquable. Il devait
être très sûr à tous égards,
remarquable sous tous les rapports, pour que Dieu le choisisse, pour qu’Il en
fasse son père et le gardien de sa Mère ; pour que le Seigneur, le maître
de la création, ait voulu que cette créature lui donne à manger et l’habille,
le traite avec affection, avec tendresse, et prenne soin de Lui ; il a dû
lui donner la main pour faire ses premiers pas. Ne serait-il pas tout disposé à
en faire autant avec nous ? Son désir le plus intime n’est-il pas
identique à celui de son Fils qui veut que tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la vérité ? Eh bien ! Remercions-le
pour cela et aimons-le.
La sainteté de Joseph
n’égale, certes, pas celle de la Vierge Marie, préservée par anticipation du
péché originel en vertu des mérites de Jésus-Christ. Mais elle est quand même
exceptionnelle, encore une fois en raison du contexte : celui de la
présence du Fils de Dieu, le Saint par excellence, et de sa Mère bénie, la
toute-sainte.
Le Seigneur a choisi
celle qui allait être sa Mère, il l’a remplie de perfections et il a
choisi ensuite celui qui devait apparaître comme son père sur la terre. C’est
pourquoi, la même raison que les
théologiens donnent pour parler des grands privilèges de Sainte Marie,
vaut pour saint Joseph. Les théologiens disent, après Duns Scot : Il
pouvait le faire, il était raisonnable qu’il le fasse, il l’a donc fait. Il a
pu rendre sa Mère la plus belle, la plus grande, la pleine de grâces, et
c’était raisonnable. Il l’a donc fait.
Eh bien ! après la
Sainte Vierge, vient saint Joseph. Aucune autre créature ne devait fréquenter
davantage le Christ notre Seigneur et la Mère du Christ que lui. C’est pourquoi
Dieu l’a rempli de vertus, de qualités, de bonnes dispositions. Et s’il est,
comme nous l’avons dit, notre Père et Seigneur, il vaut la peine de lui
demander de nous apprendre à pénétrer
dans l’intimité de Jésus et de Marie, et de nous donner un peu de son patrimoine, parce que les enfants ont
droit au patrimoine de leurs parents. C’est pour cela c’est de
nouveau saint Josémaria qui nous parle, que je l’appelle Père et Seigneur. Comme cela,
il exerce envers nous son rôle de père, il nous forme, il nous instruit, il
nous apprend à aimer Dieu en toute circonstance.
Comme
le pape Jean-Paul II l’a écrit dans son exhortation apostolique sur saint
Joseph Redemptoris custos, le gardien
du Rédempteur, « le sacrifice absolu que Joseph fit
de toute son existence aux exigences de la venue du Messie dans sa maison
trouve son juste motif « dans son insondable vie intérieure, d'où lui viennent
des ordres et des réconforts tout à fait particuliers et d'où découlent pour
lui la logique et la force, propres aux âmes simples et transparentes, des
grandes décisions, comme celle de mettre aussitôt à la disposition des desseins
divins sa liberté, sa vocation humaine légitime, son bonheur conjugal,
acceptant la condition, la responsabilité et le poids de la famille et
renonçant, au profit d'un amour virginal incomparable, à l'amour conjugal
naturel qui la constitue et l'alimente ». Cette soumission à Dieu, qui est
promptitude de la volonté à se consacrer à tout ce qui concerne son service,
n'est autre que l'exercice de la dévotion qui constitue une des expressions de
la vertu de religion. »
Saint
Joseph peut intervenir dans notre vie, comme Marie l’a fait à Cana, quand elle
s’est adressée à Jésus, lui disant : « Ils n’ont plus de vin »
(Jn 2, 3). Parlant de nous, il peut pareillement attirer l’attention de son
épouse sur nos besoins fondamentaux, vitaux, pour qu’elle intervienne à son
tour auprès de son divin Fils, avec son efficacité bien connue, qui n’est plus
à prouver. Avec ce double recours, nous pouvons être assurés que nous serons
entendus et que nous obtiendrons ce qui nous convient. Il est, en effet, plus
avantageux de demander à notre père et seigneur de nous obtenir ce que Dieu veut
plutôt que ce que nous voulons nous-mêmes.
Saint
Joseph est le patron de la bonne mort. Saint Alphonse-Marie de Liguori parle de
la mort de Joseph lui-même en ces termes : « La présence d’une telle
Épouse et d’un tel Fils, nom que daignait prendre le divin Rédempteur, rendit
la mort de Joseph bien douce et bien précieuse. Comment, en effet, eût-elle
jamais pu être amère, la mort de celui qui expirait dans les bras de la
Vie ! Qui pourra jamais exprimer ou comprendre les pures délices, les
consolations, les bienheureuses espérances, les actes de résignation, les
flammes d’amour, que procuraient au cœur de Joseph les paroles de vie éternelle
que lui disaient tour à tour Jésus et Marie en ces derniers moments ? Elle
est donc fort raisonnable, l’opinion de saint François de Sales, qui soutient
que saint Joseph mourut de pur amour pour Dieu. »
4) Achevons
notre propos comme annoncé par quelques « cas pratiques » de dévotion
envers saint Joseph, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi.
Sainte Thérèse
d’Avila raconte : « Un jour,
après la communion, le Sauveur me commanda de travailler de toutes mes forces à
l’établissement de ce monastère. Il donnait la plus complète assurance que cet
établissement se ferait et que lui-même y serait fidèlement servi. Il voulait
qu’il fut dédié à Saint Joseph : ce Saint nous protégerait à l’une des
portes, Notre-Dame, à l’autre, et lui-même, le Christ, se tiendrait au milieu
de nous. »
La même sainte récitait tous les jours et faisait réciter par ses
religieuses cette prière : « Dieu tout-puissant et très
miséricordieux, qui avez donné pour époux à la Vierge Marie, votre très sainte
Mère, l’homme juste, le bienheureux Joseph, fils de David, et l’avez choisi
pour votre Père nourricier : accordez à votre Église, par les prières et
les mérites de ce grande saint, la tranquillité et la paix, et faites-nous la
grâce de jouir un jour du bonheur de vous voir éternellement dans le Ciel.
Vous, qui étant Dieu, vivez et régnez avec Dieu le Père, en l’unité du
Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. »
Thérèse affirmait encore sa conviction profonde : « Qui ne trouve pas de maître pour
lui enseigner comment faire oraison, qu’il prenne ce saint glorieux (elle parle
bien sûr de saint Joseph) pour maître ; elle n’errera pas sur son
chemin. »
Pour corriger les
désordres de la paroisse Saint-Sulpice, à Paris, M. Olier y fait fleurir, avec
la dévotion au Saint-Sacrement et à la Sainte Vierge, la dévotion à saint
Joseph. Il le donne pour patron principal à sa compagnie et au séminaire. Il
fait mettre sa statue au-dessus de la porte de la maison, à côté de celle de la
Sainte Vierge, afin que ses enfants soient fidèles à lui rendre leurs devoirs,
à le considérer comme modèle, à recourir à lui comme à leur protecteur et père.
Saint Joseph est choisi comme patron du séminaire parce qu'il a mené avec
perfection la vie intérieure dont le prêtre a d'autant plus de besoin que ses
fonctions extérieures sont plus absorbantes... « Saint Joseph, saint caché, est
établi pour communiquer intérieurement la vie suréminente qu'il reçoit du Père
et qui découle ensuite par Jésus-Christ sur nous. »
Pour saint François
de Sales, Joseph « pouvait faire envie
aux Anges et défier le Ciel tout ensemble d’avoir plus de bien que lui ; car,
qu’y a-t-il entre les Anges, comparable à la Reine des Anges, et en Dieu, plus
que Dieu ? »
« Ô quel saint est le glorieux saint Joseph ! s’exclame-t-il.
Il n’est pas seulement patriarche, mais le coryphée de tous les
patriarches ; il n’est pas simplement confesseur, mais plus que
confesseur, car dans sa confession sont encloses les dignités des évêques, la
générosité des martyrs et de tous les autres saints. C’est donc à juste raison
qu’il est comparé à la palme qui est le roi des arbres, lequel a la propriété
de la virginité, celle de l’humilité et celle de la constance et vaillance,
trois vertus desquelles le glorieux Saint Joseph a grandement excellé. »
Vous trouverez d’autres prières dans le recueil intitulé Les plus belle prières de saint Joseph que je publie chez Artège au mois de juin prochain. Et si vous voulez en savoir davantage, vous pouvez vous servir aussi de Mon avent avec saint Joseph, publié par Parole et Prière pour cette période de l’année liturgique qui vient de commencer dimanche dernier.
Terminons, si vous le voulez bien, avec la prière à saint Joseph qui clôt la lettre apostolique Patris corde : « Il ne reste qu’à implorer de saint Joseph la grâce des grâces : notre conversion. Nous lui adressons notre prière : Salut, gardien du Rédempteur, époux de la Vierge Marie. À toi Dieu a confié son Fils ; en toi Marie a remis sa confiance ; avec toi le Christ est devenu homme. Ô bienheureux Joseph, montre-toi aussi un père pour nous, et conduis-nous sur le chemin de la vie. Obtiens-nous grâce, miséricorde et courage, et défends-nous de tout mal. Amen. »
Publié par
Dominique
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Catégories : Bossuet, catolicisme, Cotignac, dévotion populaire, Frère Fiacre, L'Isle-sur-la-Sorgue, Louis XIII, Louis XIV, prières, religion, saint Joseph, Sainte Vierge
mardi 9 novembre 2021
Discours de réception à l'Académie Delphinale le 8 novembre 2021 - Dominique Le Tourneau
Monsieur le Président
Monsieur le vice-président
Madame la Secrétaire perpétuelle
Mesdames et Messieurs les
Académiciens
Chers amis,
Mesdames et Messieurs,
« L’on s’accorde à considérer les Académies comme les Sénats de la république des lettres. Ce n’est peut-être pas assez dire ; car les hommes qui font ou qui méritent de faire partie des Sociétés savantes sont en définitive les inventeurs ou les propagateurs des idées qui dirigent tous les actes considérables de l’humanité[1]. » Ainsi s’exprimait notre Confrère de Boissieu en exorde à son discours de réception dans notre Académie, lors de la séance du 10 janvier 1868. Un autre de nos Confrères, Paul Golétty, livrait ses sentiments, dans une circonstance identique, le 19 mai 1876 : « On raconte qu’un jour l’empereur Claude, en errant dans son palais, entendit un grand bruit. Il en demanda la cause ; on lui répondit que Noniatus faisait une lecture publique : Claude vint aussitôt surprendre l’assemblée. Je ne suis pas Claude, et je m’en console ; mais j’ai été attiré, moi aussi, par le bruit si flatteur qui se faisait autour de votre Académie : je me suis approché, d’aimables patrons m’ont ouvert la porte, et c’est ainsi que, lettré sans le savoir, j’ai conquis mon droit de cité parmi vous[2]. »
Je n’oserais enfiler leurs chausses, trop grandes pour moi. Mais je fais mien leur état d’esprit. Reçu dans cette fière Assemblée, je mesure l’honneur que vous me faites, Mesdames et Messieurs les Académiciens. Je me réjouis de poursuivre, modestement, une sorte d’habitude familiale, puisque figurent parmi mes ancêtres un membre de l’Académie Française, 5 membres de l’Académie des sciences, 2 membres de l’Académie de médecine, un membre de l’Académie des sciences morales et politiques, et deux membres de l’Académie des Beaux-Arts.
[1] Boissieu (M. de), « Éloge de M. J.
Mallein. Discours de réception à l’Académie Delphinale », Bulletin de
l’Académie Delphinale, 3e série, tome 4e, Grenoble,
1869,
Ceci dit, en écoutant des mois derniers l’éloge des
Académiciens récemment remplacés et le curriculum
vitae de leurs successeurs, je me sens petit, et j’ai presque envie de vous
demander de bien vouloir m’excuser d’entre dans une si illustre compagnie,
vieille déjà de presque 250 ans.
Ce sentiment, l’évocation de mon prédécesseur, Aimé Bocquet,
ne peut que l’aviver. Le monde auquel il nous fait accéder m’était, jusqu’ici,
plutôt étranger. Je me suis demandé si, malgré tout, nous pouvions nous
retrouver ne serait-ce que sur un point.
Vous savez que Georges Cuvier est considéré comme le
fondateur du premier paradigme dans la discipline de la paléontologie. Or, il
se trouve que Cuvier a lu à la séance publique de l’Institut, le 15 nivôse an
X, soit le 5 janvier 1802, de mon ancêtre Jean d’Arcet, dont je descends en
ligne directe à la 6e génération, créateur de l’art de la porcelaine
dure, inventeur de la soude artificielle et de « l’alliage d’Arcet »
qui contribua au développement de la typographie et révolutionna donc
l’imprimerie.
Le lien est ténu, certes, et lointain. Mais le temps ne
compte pas pour notre sujet. D’ailleurs la perception du temps n’est pas la
même pour chacun de nous. Nous ne ressentons pas le passage du temps de la même
manière selon les circonstances. Le romancer Marc Lévy nous le fait comprendre
de façon saisissante :
« Tu
veux comprendre ce qu'est une année de vie : pose la question à un
étudiant qui vient de rater son examen de fin d'année. Un mois de vie :
parles-en à une mère qui vient de mettre au monde un enfant prématuré et qui
attend qu'il sorte de sa couveuse pour serrer son bébé dans ses bras, sain et
sauf. Une semaine : interroge un homme qui travaille dans une usine ou
dans une mine pour nourrir sa famille. Un jour : demande à deux amoureux
transis qui attendent de se retrouver. Une heure : questionne un
claustrophobe, coincé dans un ascenseur en panne. Une seconde : regarde
l'expression d'un homme qui vient d'échapper à un accident de voiture, et un
millième de seconde : demande à l'athlète qui vient de gagner la médaille
d'argent aux jeux Olympiques, et non la médaille d'or pour laquelle il s'était
entraîné toute la vie.[1] »
Vous
m’avez élu, chers Consœurs et Confrères, au fauteuil numéro 50. Un fauteuil de
création récente, puisqu’il fut occupé pour la première fois par Camille
Teisseire Hyacinthe, ancien député, qui mourut en 1842. Conseiller référendaire au Parlement de Dauphiné,
liquoriste, il fut agent national de la Convention, sous-préfet, puis député et
Président du tribunal de commerce et directeur de l'hôpital de Grenoble.
Le fauteuil revint ensuite, de 1842 à 1878, à un avocat,
Piat-Longchamp-Dupré, dont je n’ai pu trouver de références précises.
Lui succéda Joseph Accarias, conseiller à la Cour d’appel,
dont le discours de réception présentait « Une famille parlementaire du
Dauphiné : les Chalvet »[2].
Il y resta de 1878 à 1898.
Maître Edouard Silvy, avocat et greffier en chef du Tribunal de
commerce prononce son discours de réception le 9 mars 1900 sur « Grenoble
et la Saint-Barthélemy »[3],
et reste membre de notre Académie 45 ans durant.
Lui succède le comte Yves du Parc-Locmaria, président des
bibliophiles dauphinois, son discours de réception tourne « Autour de
Françoise Mionot »[4].
Il siègera jusqu’en 1968, avant d’être remplacé par mon
prédécesseur, Aimé Bocquet, qui l’occupera de 1970 à 2017, soit 47 ans !
Votre mari, Madame, aimait à dire : « Quand on a la
bonté, on a toutes les qualités. » Nous avons son portrait sous les yeux.
Comment ne pas reconnaître au premier coup d’œil qu’il respire précisément de
bonté ? « Loin de nous les héros sans humanité, disait Bossuet. Ils
pourront bien forcer le respect et ravir l’admiration ; mais ils n’auront
pas les cœurs. Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles des hommes, il y
mit premièrement la bonté[5]. »
Nous l’avons donc devant nous, la vraie bonté, « … non point de cette odieuse bonté
qui n’est que faiblesse, selon Péguy, (…) ramollissement (…) retombée de
déliquescence. De cette bonté juste, fille de justice, fille de justesse, de
cette bonté ferme, fille de juste fermeté. La seule réellement bonne (…). Rien
que du robuste (…). Ni cette odieuse faiblesse, qui ferait haïr la bonté même.
Ni cette odieuse dureté, qui ferait haïr la fermeté même »[6].
Cette bonté, Aimé Bocquet l’exerçait d’abord avec ses patients. Car, s’il est connu pour ses découvertes et ses travaux de paléontologue, Aimé Bocquet était avant tout un chirurgien-dentiste, profession qu’il n’a cessé d’exercer. Et qui correspond à une tradition familiale, si je puis m’exprimer ainsi. Il a succédé, en effet, à son père ; un de ses frères et un de ses neveux sont eux aussi chirurgiens-dentistes.
La
paléontologie n’était toutefois pas l’essentiel pour Aimé Bocquet. Sa passion
première, sa vocation originaire restait l’odontologie, métier qu’il a pratiqué
quarante ans avec passion, toujours soucieux des intérêts médicaux et
pécuniaires de ses patients. Cédant en 1994 son cabinet à un jeune confrère,
l’expression « vendre sa clientèle » lui faisait horreur, il aurait
exprimé sa crainte qu’il n’aime pas ses patients autant que lui. Relevons aussi
que notre regretté Confrère est venu à la paléontologie par le biais de la
spéléologie. Cette pratique l’a amené à vouloir aller plus loin, à en savoir
plus sur nos origines. S’il est resté un amateur, la simple énumération de ses
titres et des fonctions occupées n’en est pas moins impressionnante. Je me
limiterai aux principaux d’entre eux :
De
1979 à 1985, Aimé Bocquet est membre du Conseil supérieur de la recherche
archéologique, et directeur des antiquités au ministère de la Culture de 1980 à
1992 ; de 1972 à 2005, il dirige les fouilles néolithiques et les études
sur le lac de Charavines ; en 1980, il crée, et dirige de 1980 à 1993, le
centre national de recherches archéologiques subaquatiques dont la vocation est
la recherche dans les eaux intérieures en France, jumeau du Département des
recherches archéologies sous-marines pour la mer ; responsable de la
section Préhistoire de l’Institut de Géologie de Grenoble de 1968 à 1990 ;
membre de la commission de Préhistoire du Comité des travaux historiques et
scientifiques du ministère de l’Éducation nationale de 1985 à 2001 ;
fondateur et président du Centre de documentation de la préhistoire alpine de
1958 à 2005 ; chargé de mission au Muse savoisien de Chambéry de 1971 à
1989 ; chargé de cours à l’U.E.R. d’Art et d’Histoire de l’Université de
Grenoble entre 1972 et 1982 ; chargé de cours d’Histoire de l’Université
de Savoie de 1990 à 1995.
De
1958 à 1986, il procède à des fouilles sur plusieurs sites préhistoriques
alpins ; et de 1958 à 1999 il est réalisateur et commissaire de nombreuses
expositions de préhistoire en France et à l’étranger.
Ajoutons
que sa thèse sur L’Isère pré et
protohistorique a permis de rassembler des fonds archéologiques dispersés
qui ont été regroupés au Musée dauphinois.
L’on apprécie chez Aimé Bocquet ce que j’appellerai
« l’esprit pionnier ». Il est manifeste quand il explique la méthode
suivie dans ses divers travaux. Cette qualité est sans conteste le signe d’un
véritable savant.
Nous devons à mon illustre prédécesseur une archéologie moderne, conduite en comptant sur le bénévolat, mais innovant dans bien des domaines, comme celui de la dendrochronologie qui permet de dater la première implantation humaine à Charavines exactement en l’an 2268 avant Jésus-Christ.
Aimé Bocquet a publié trois ouvrages : Hannibal chez les Allobroges ; Les Oubliés du lac de Paladru, préfacé
par le professeur Yves Coppens du Collège de France ; L’histoire de Balazuc, un village de l’Ardèche.
Faute de temps, nous irons à l’essentiel, c'est-à-dire à ce qui a mobilisé Aimé Bocquet l’été pas moins de trente années durant : Les Oubliés du lac de Paladru.
Je en
vous apprendrai rien en disant que le lac de Paladru occupe une dépression
d’origine glacière dans les collines du Bas-Dauphiné. Au Moyen Âge, peu avant
l’an mil, plusieurs collectivités se sont installées sur ses rives.
Sur les plages de Charavines se trouve le village
néolithique des Baigneurs, noyé sous quelques mètres d’eau à une centaine de
mètres du rivage actuel.
La grande sécheresse de l’hiver 1971-1972 a eu du bon pour notre propos. En effet, elle fit émerger de la vase six cents pieux. Il fut alors possible d’entreprendre leur topographie précise. Les premiers sondages permirent d’acquérir une conviction fondamentale : le village était pratiquement enfoui depuis son immersion. L’on était donc en présence d’un habitat néolithique parfaitement conservé.
C’est alors qu’André Bocquet entreprit des fouilles
subaquatiques. Elles nécessitèrent la mise au point de techniques nouvelles.
Aimé Bocquet sut les développer avec succès.
L’humidité permanente indique que les hommes habitaient très près de l’eau et qu’elle était entretenue par la capillarité du sol de craie lacustre toujours gorgée d’eau. À la fouille, cette couche de fumier, très légère, peu compacte, pouvait aisément être « enlevée à la main et sans instrument, ce qui permit de récupérer les vestiges très fragiles comme les textiles ou le bois […]. C’est ce qui fait l’énorme intérêt de la fouille subaquatique. » Et la richesse exceptionnelle du site de Charavines.
Certes l’on ne procède plus de nos jours comme du temps où
Aimé Bocquet s’est lancé dans l’aventure de Charavines. Tout est désormais
soumis à des normes, des autorisations. L’époque d’Aimé Bocquet a été comme une
époque d’or, à laquelle il a imprimée une marque personnelle. Et celle-ci
influence durablement sa spécialité.
Mon prédécesseur à notre Académie, aimait partager ses
convictions. Témoin le geste munificent consistant à joindre à son ouvrage sur
Charavines un DVD contenant 19 volumes, 2800 planches de dessins, des centaines
de photos, histogrammes, plans, coupes, et l’inventaire de 10 000 pièces.
Nous présentons maintenant « Une relique insigne
de la Passion présente à Vienne : la Sainte Nappe sur laquelle le Christ
aurait célébré l’Eucharistie ».
Il n’existe pas à notre
connaissance d’étude systématique de cette relique. La présentation la plus
développée se trouve dans l’ouvrage de Le Lièvre, Histoire de l’Antiquité et de la Saincteté de la Cité de Vienne[7]. Les
auteurs suivants se contenteront la plupart du temps de le reproduire plus ou
moins en détail, sans guère apporter de précision,
moins encore d’éléments nouveaux. Malgré le recours au conditionnel, l’intitulé
de cette communication peut faire sourire, et pas seulement les voltairiens. Les
historiens hausseraient sans doute les épaules, car, en matière de reliques, la
plus grande circonspection s’impose, faute de preuves suffisamment solides. Et
depuis les heures sombres de la Révolution, notre relique, gardée dans la
sacristie de la cathédrale Saint-Maurice, n’en sort pratiquement plus.
Nous
avons été conduits à effectuer des recherches plus approfondies sur la
provenance de la Sainte Nappe et ses emplacements successifs, la nature de son
reliquaire et le culte dont elle a fait l’objet. Nous pensons avoir établi
l’état de la question, sans pouvoir clarifier toutes les zones d’ombre
existantes, une certitude sur ce genre d’objet étant exclue par avance. Nous
retracerons d’abord un bref historique de l’Église de Vienne (I), avant de
présenter l’histoire de la Sainte Nappe du Moyen Âge à nos jours (II) puis,
dans une dernière partie, le culte qui lui est rendu (III).
I – Bref historique de
l’Église de Vienne
Pour essayer de cerner autant que faire se peut
l’origine de la Sainte Nappe, il convient de commencer par évoquer la fondation
de l’Église de Vienne et donc de parler d’abord des premiers évêques de Vienne
(A) puis de son église cathédrale (B).
A) Les premiers évêques de Vienne
Une
difficulté se présente d’emblée à propos des premiers évêques présumés de
Vienne.
Le Martyrologe lyonnais rédigé par Adon en 850 fait remonter l’origine
de l’Église de Vienne à saint Crescent, disciple de saint Paul, arrivé en 63,
auquel ont succédé saint Zacharie, disciple de saint Pierre, arrivé en 68, puis
saint Martin[8].
Pour l’historien viennois Nicolas Chorier, « l’Église de Vienne reconnoit
pour ses premiers Éuêques Crescent, Zacharie et Martin »[9].
Cette
question reste débattue entre spécialistes. Bornons-nous aux éléments-clés du
dossier. Saint Paul envoie Crescent in Galatiam, selon la deuxième épître
à Timothée 4, 8. Nombre d’historiens grecs et latins nous apprennent que par Galatiam
il faut entendre la Galatie occidentale, autrement dit la Gaule. Certains
historiens récents le nient cependant.
Ils
refusent également d’admettre la venue de saint Paul dans la région de Vienne
tout comme l’authenticité de l’apostolat de saint Zacharie, qui aurait succédé
à saint Crescent, et serait mort martyr en 106. Il aurait reçu du Prince des
apôtres le Saint Mantil, l’emportant avec lui à Vienne. Tel est l’enjeu. Ce qui
est en cause, n’est autre que la reconnaissance d’une apostolicité
exceptionnelle du diocèse de Vienne : il aurait ainsi été fondée par un
disciple de saint Paul et un disciple de saint Pierre, les deux colonnes de
l’Église universelle.
Je renvoie à mon étude sur
l’« origine apostolique du diocèse de Vienne. Une question
débattue », paru en septembre dernier dans La Lettre des Académies des Sciences, Lettres et Arts[10].
Après
cette évocation volontairement circonscrite, venons-en au sanctuaire abritant
de nos jours la relique insigne, objet de la présente étude.
B) La cathédrale de Vienne
L’histoire
proprement dite de la Nappe requiert d’indiquer en quelques mots l’évolution
subie par la cathédrale de Vienne. Une première cathédrale, « dès qu’elle
a eu un nom propre, était sous le vocable des Sept Frères Machabées »[11]. Elle
passe au titre de Saint Maurice et de la Légion Thébaine au début du VIIIe
siècle. Le culte de saint Maurice et des martyrs thébains avait probablement
été introduit à Vienne par saint Avit. Une nouvelle cathédrale voit le jour au
XIe siècle, sous le vocable du Sauveur.
L’église
Saint-Maurice, aujourd’hui cathédrale, revendique la gloire de posséder, sous
le nom de Saint Mantil ou Sainte Toaille, la nappe vénérable sur laquelle le
Seigneur Jésus aurait institué le sacrement de l’Eucharistie lors de la
dernière Cène. D’après Le Lièvre, un des plus anciens historiens de Vienne,
cette relique, nous l’avons dit, aurait été apportée par saint Zacharie, second
évêque de Vienne et premier martyr de la Gaule, sous Trajan, le 26 mai 106[12].
Le Lièvre relate qu’au moment
d’envoyer Zacharie à Vienne, saint Pierre lui impose alors les mains et lui
remet « la faincte Toaille, ou mantil fur lequel noftre Redempteur
auoit confacré la faincte Euchariftie au foupé auec ses Apoftres, pour en
honnorer la ville de Vienne ; & luy tint ces parolles : ‘Que
N.-S.J.-C. envoie son ange préparer votre chemin et vous accorde ce que vous
demanderez. Recevez ce présent sur lequel N.-S.J.-C. avant de souffrir nous
donna son corps et son sang en nourriture. Et l’ayant baisé il l’envoya’ »[13].
Pour Jacques Robin,
« l’authenticité de cette Nappe est incontestable »[14].
L’auteur de cette affirmation, un temps curé de Saint-Maurice, s’appuie sur le
témoignage de Jean Le Lièvre. Paul Parfait rapporte les termes d’une lettre de
l’évêque de Besançon à l’abbé Robin : « Les documents recueillis par
vous et puisés aux sources les plus pures défient la critique la plus sévère[15]. »
Quelle est l’histoire de cette
relique, pour autant que nous puissions l’appréhender ?
II – L’histoire du
Saint Mantil du Moyen Âge à nos jours
L’histoire
de Saint Mantil se focalise en premier lieu sur son authenticité soutenue ou
niée à partir d’autres arguments (A), et doit être confrontée ensuite à la
présence d’une Sainte Nappe en différents lieux (B).
A) Des
arguments pour et contre l’authenticité de la Sainte Nappe
Nous venons de rapporter
les éléments historiques en notre connaissance relatifs à la venue de cette
relique dans notre pays à l’aube de son évangélisation. Un doute sur son
authenticité est certes permis. Mély la relègue d’ailleurs au genre des
reliques « invraisemblables »[16].
Cependant, le définiteur provincial
des Carmes Déchaussez de la Province d’Aquitaine se fait l’écho, au XVIIe
siècle, de cette donation par saint Zacharie qui « laisse à Vienne le
précieux dépost de la nappe qui avoit servi à la derniere Cene de N. Seigneur,
où il institua le S. Sacrement de l’Autel »[17].
Voulant défendre l’authenticité de
la dite relique, « rien, affirme Rohault de Fleury[18], ne
s’oppose dans les habitudes antiques à ce que nous la croyions véritable. En
effet, les Romains se servaient dans leurs repas d’une mappa pour s’essuyer la bouche, ou du mantile, mantelium, à peu
près synonyme, et qui, plus tard, servit à désigner la nappe même que l’usage
fit étendre sur la table. On conservait à Constantinople, dans la chapelle
impériale, le linteum[19] dont le
Sauveur se ceignit au lavement des pieds, le mantile de la Véronique ; il ne serait pas plus étonnant qu’on
ait gardé le linge qui couvrait, la table de la Cène. » Non seulement rien ne
s’oppose à cette croyance, écrit à son tour Hoppenot, mais une tradition
antique et persévérante l’appuie et la corrobore[20].
En réalité, d’autres témoignages
peuvent être avancés en faveur de la relique de la Sainte Nappe. Le Martyrologe gallican indique en effet, à
l’article « Zacharie », le 27 mai : « C’est par la
munificence de ce pontife que la cité viennoise possède la sainte Nappe sur
laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ, à la dernière cène avec ses apôtres,
célébra les divins mystères, c’est-à-dire la sainte Eucharistie ; nappe
qui est un gage très précieux et un illustre monument de piété chrétienne[21]. »
Les Bollandistes notent au 26 mai,
que « ce saint évêque, dit-on, laissa à son Église la nappe qui servit au
souper que Notre-Seigneur Jésus fit avec ses disciples le soir de sa Passion,
lorsqu’il institua le Saint-Sacrement de l’autel » [22].
« Ce don précieux a été conservé jusqu’à ce jour dans l’église de Vienne,
orné d’or et d’argent », précise une édition antérieure[23].
Un éloge de la Sainte Nappe a été
rédigé en latin et en français par Chorier, en 1668[24]. L’auteur
y rapporte que, « à ce que l’on croit », la Vierge Marie a tissé et
peint elle-même cette Nappe, sans étayer une telle assertion.
« Selon la coutume des Juifs, la table de la Cène a dû
être recouverte d’une nappe. Saint Augustin rappelle cet usage. La tradition
ajoute que c’était un travail à l’aiguille fait des propres mains de la Sainte
Vierge. Marie, au dire de la tradition, avait déjà tissé la robe sans couture
de son Fils ; ne convenait-il pas qu’elle eût encore l’honneur et la joie
de façonner de ses doigts le tissu précieux où Jésus devait être étendu,
victime d'amour, dans son état sacramentel ?[25] »
Le tissu de cette Nappe « est
fait avec les filaments d’une sorte d’ortie » [26]. Elle
se compose « d’un carré d’étoffe grossière de 20 centimètres de côté,
renfermée dans un reliquaire argenté, portant en estampage sur le cadre les
douze apôtres, avec cette particularité, que Judas est représenté la tête en
bas[27]
Quel crédit accorder à cette
relique, alors que d’autres nappes existent ailleurs ?
B) La
présence d’une Sainte Nappe dans d’autres villes
L’existence
de fragments de la Sainte Nappe ou carrément d’une nappe est revendiquée en
certains lieux.
D’après
Mgr Duchesne, la nappe de la Cène était conservée dans l’église Saint-Pierre
d’Uzerche, en Corrèze[28], sans
autre précision.
Au
XIIIe siècle, la cathédrale Notre-Dame du Puy conservait une relique
de la Nappe de la Cène, provenant de l’abbaye Saint-Pierre de Vienne[29]. La filiation
serait ainsi établie. Cette relique ne semble plus exister.
Le
musée de Vienne, en Autriche, possède un fragment à peu près semblable au
dauphinois, « ce qui ferait supposer qu’ils pourraient bien avoir
appartenu l’un et l’autre à la même nappe ayant servi à la Cène »[30]. Il reste
mentionné au catalogue du Trésor Impérial.
Hoppenot
affirme que l’église Saint-Roch de Lisbonne « prétend posséder »
aussi cette relique, la Nappe du Cénacle étant « assez grande pour que,
divisée, elle pût enrichir plusieurs églises »[31]. L’abbé
Corblet et dit autant. Il émet l’hypothèse que Lisbonne et Vienne n’en ont
peut-être « chacune qu’un fragment »[32].
Cependant les actuels desservants de Saint-Roch ignorent tout de cette relique.
Nous
trouvons encore une mention de la présence de la Sainte Touaille à la Sainte-Chapelle de Paris[33]. Tout
donne à penser qu’elle a disparu lors de la tourmente révolutionnaire.
Corrozet
mentionne la présence d’une Sainte Touaille dans une église de Nuremberg. Il
s’agit en réalité du fragment aujourd’hui présent dans la capitale
autrichienne.
Il est fait enfin état de la présence pour la cathédrale de Moscou d’une même relique, « mais d’étoffe différente » [34], sans preuves à l’appui.
Le concurrent le plus sérieux est la Sainte Nappe de la cathédrale Santa María de la Asunción, à Coria, province de Cáceres, en Espagne. Des études menées en 2014 ont établi un lien entre la nappe et le Saint-Suaire. Selon les chercheurs, ils pourraient avoir été tissés en même temps et avoir servi tous deux au Cénacle. Pour John Jackson, directeur du centre consacré au Suaire de Turin dans le Colorado, il a pu s’agir, à l’origine, non d’un suaire mais d’une nappe. Les dimensions de la nappe de Coria sont sensiblement égales à celles du Saint Suaire. Pour Rebecca Jackson, intervenue dans l’étude, « le Suaire et la nappe de Coria ont tous deux utilisés lors de la Cène » [35]. Mais cette nappe n’est connue qu’à partir du XVe siècle, donc bien après celle de Vienne. L’afflux de pèlerins conduit à construire une nouvelle cathédrale. Au XVIIIe siècle, la nappe est placée dans un reliquaire conservé dans le musée de la cathédrale.
Venons-en au culte qui a entouré la
relique de la Sainte Nappe à Vienne.
III – Le culte rendu à la
Sainte Nappe de Vienne
Contrairement
à ce que d’aucuns ont prétendu, les sources relatives au culte rendu à la
Sainte Toaille ne sont pas du tout inconnues. Nous nous intéresserons dans un
premier temps au culte tel qu’il est pratiqué non seulement jusqu’à la Révolution
française mais encore de nos jours (A), puis nous présenterons le reliquaire de
la Sainte Nappe (B).
A) La
vénération de la Sainte Nappe jusqu’à la révolution
Ce culte est abondamment illustré
par Pierre Cavard dans son ouvrage sur Vienne
la Sainte.
La Sainte Nappe était exposée le lundi de Pâques[36]. Chaque
année, au dimanche in albis[37],
l’église des SS. Apôtres[38]
recevait la visite d’un grand nombre de fidèles, à cause des nombreuses
indulgences accordées à tous ceux qui vénèrent cette relique, par les Souverains
Pontifes et surtout par Innocent IV [1243-1254] »[39] le jour
de l’octave de Pâques[40], « à
tous ceux qui visiteront en estat convenable[41] cette
saincte relique dans la dicte église ».
La veille, aux premières vêpres, « la relique était
solennellement exposée sur le maître-autel. Le lendemain, après l’alléluia de
la messe, on la portait en procession à travers le cimetière. À une heure de
l’après-midi les fidèles se rassemblaient de nouveau dans l’église abbatiale
pour entendre un sermon de circonstance et assister aux secondes vêpres. Comme
aux plus grandes fêtes de l’année, les chantres étaient en chape et les cloches
carillonnaient à quatre ‘bandes’ »[42].
Comme Madame Paravy le
relève, « le compte des offrandes déposées sur le tombeau de Philippe de
Chantemilan a permis de constater le primat du pèlerinage de la Sainte Toaille
parmi les manifestations viennoises »[43], du
XIIIe au milieu du XVe siècle.
Le témoignage de l’abbé Pla, curé de
Saint-Maurice à la fin du XIXe siècle, nous apprend qu’aux fêtes de
Pâques et de la Pentecôte les pèlerins accourent si nombreux, non seulement du Viennois, mais encore du Vivarais,
du Forez, du Lyonnais que les hôtelleries et les maisons particulières ne
pouvaient les contenir. La foule devait passer la nuit dans les églises ou sur
les places publiques[44].
L’affluence était donc considérable. Il s’y mêlait inévitablement des escrocs
et autres voleurs à la tire et l’ordre public pouvait en être perturbé.
Une délibération consulaire du mois d’avril 1560 porte sur
les mesures de police à prendre pour surveiller les étrangers afin d’éviter ou
de limiter les troubles se produisant dans la ville de Vienne à l’occasion de
ces manifestations de piété populaire :
« Parce que, d’ancienneté, ceux de Lyon et de
l’environ viennent aud. Vienne le jour de Quasimodo a grandes flottes, pour la
sainte toaille qui est led. Jour vénérée », les consuls envoient le sire
François de la Tour à M. de la Motte-Gondrin et à l’abbé de Savigny,
respectivement gouverneurs du Dauphiné et du Lyonnais, « les suppliant
leur plaisir être ne permettre descendre dud. Lyon, par eau ni par terre,
aucuns suspects »[45].
D’après Pierre Cavard, Alexandre IV
octroie une indulgence de cent jours aux fidèles qui visiteraient l’église
Saint-Pierre dans l’octave de Pâques[46].
En 1562, Vienne tombe aux mains des
huguenots. Le reliquaire de la Sainte Nappe leur échappe toutefois, car les
religieux de l’église Saint-Pierre l’enterrent, au témoignage de Jean du Bois[47]. Le
reliquaire ainsi préservé est exhumé une fois le calme revenu.
Le culte public reprend en 1568,
comme en témoignent les registres de l’Hôtel-Dieu : « Quasimodo, 25
avril, jour que l’on va en procession à Saint-Pierre et au sermon. » Mais
la solennité qui, nous l’avons relevé, clôturait les fêtes pascales, « ne
devait retrouver son ancien état qu’après la paix définitive, sous Henri
IV »[48].
Au XVIIIe siècle,
l’ostension de la relique est déplacée au jour de la solennité de la Pentecôte.
Quelles que soient les allégations
légendaires et les mentions inexactes d’un document du XIVe siècle,
la Fundatio Ecclesiæ Viennensis[49], « cette pièce sert du moins à
constater cette “possession” à une
date ancienne, mais que nous ne pouvons fixer avec précision ».
Le 18 juin 1739, à la clôture de la
mission prêchée par le missionnaire royal Jean-Jacques Brydaine (1701-1767)[50],
pendant la procession de clôture des exercices le clergé de Saint-Pierre
portait la sainte Nappe[51] ainsi
que l’épine de la Sainte Couronne conservée dans la cathédrale[52]. La
dernière vénération publique eut lieu les 12 et 13 juin 1791[53].
Cela étant, la dévotion n’a pas
disparu pleinement. La Saint Nappe était encore proposée à la vénération des
fidèles dans les années 1960 et, à la fin du XXe siècle, elle était
placée dans son reliquaire sur le maître-autel le Jeudi Saint.
B) Les
reliquaires de la Sainte Nappe
Venons-en donc au reliquaire
proprement dit. Un inventaire dressé, en 1563, par Gabriel Polin, notaire à
Grenoble, le décrit comme « une châsse d’argent doré, où sont autour les
douze Apostres rellevés en bosse aveq un saint Zacharie au-dessus, ouvrant et
fermant avec deux esquilles d’argent et y ayant au-dessus quatre tornelles
d’argent doré et la forme d’un couvert d’église aussy d’argent et en partie
doré »[54].
Un inventaire complémentaire mentionne « un vase de cristal enchassé en
argent aveq les armes de Saint-Pierre, fermant aveq deux cadenaz d’argent,
ayant leurs clefz aussy d’argent, dans lequel est la sainte nappe enveloppée
dans un taffetaz rouge » [55].
À la Révolution, considèrent que la
relique est perdue. Cependant, le Directoire ayant ordonné de transporter les
vases précieux et les reliques de l’église Saint-Pierre et de l’église
Saint-Maurice à la mairie, le sieur Pierre-Amédée Bonjean, orfèvre de son état,
s’y rend le 26 avril 1792 à l’effet d’estimer l’or et l’argent des reliquaires.
Il est procédé à l’ouverture du reliquaire de la sainte Nappe en présence de
« MM. Pioct Abel-Joseph, maire ; Soubeyrand-Raynaud, Triboulet et
Serverin, officiers municipaux ; Guy, procureur syndic ; Darces,
prêtre-chanoine de l’église collégiale ».
Selon l’inventaire alors dressé, il appert que le dit
reliquaire « était monté sur un pied blanc et avait une forme ovale. Une
lame d’argent en recouvrait toute la surface[56]. On le
pesa après l’avoir séparé de la relique ; et cette relique fut habilement
soustraite et sauvée par M. Benatru, secrétaire communal »[57].
Monseigneur de Bonald, archevêque de Lyon en 1839, futur
cardinal, n’hésite pas à faire renfermer la dite Nappe dans un nouveau
reliquaire[58]
et à en renouveler les authentiques[59],
reconnaissant ainsi officiellement de nouveau son authenticité. L’église
Saint-Pierre ayant été transformée en musée en 1809, c’est dans la cathédrale Saint-Maurice
que le nouveau reliquaire est déposé.
À ces faits s’ajoute le témoignage
du curé de la cathédrale Saint-Maurice, publié en 1876. À son arrivée à la
cathédrale, il trouve la relique fermée dans une armoire de la sacristie, mais,
« le reliquaire présentant une face vitrée très-étroite, on n’apercevait
qu’un léger fragment de la relique » [60]. Selon
le clergé de la cathédrale, c’était tout ce qui en restait, la partie la plus
importante ayant été dérobée lors de l’examen effectué à l’archevêché de Lyon !
Or, désireux de placer l’objet dans un présentoir plus
riche, Jacques Robin, avec la permission et en présence de l’autorité
religieuse, brise le sceau et découvre alors « la sainte Nappe roulée et
soustraite aux regards depuis longtemps, la sainte Nappe envoyée à nous par S.
Pierre et confiée à S. Zacharie, notre second évêque. Aussitôt elle a été
respectueusement étalée dans un cadre en bois doré. Monseigneur Paulinier y a
apposé sept sceaux, et nous la gardons ainsi provisoirement dans ce modeste meuble,
jusqu’à ce qu’il nous soit possible de lui donner un écrin moins indigne
d’elle » [61].
Ces précisions n’empêchent pas de rencontrer encore de nos
jours des affirmations surprenantes, comme celle-ci, figurant sur
l’internet : « Il n’est pas possible de décrire cette relique en
raison du manque d’informations à ce sujet[62]. »
Or, nous venons de voir ce qu’il en est exactement. Il existe d’ailleurs une
fiche de la base gouvernementale Palissy concernant les objets mobiliers de
l’Isère, facile à consulter sur l’internet. Elle reprend pour l’essentiel des
éléments de l’étude de Pierre Cavard. Le reliquaire de la Sainte Nappe, encore
appelée Sainte Toaille, sur laquelle le Christ aurait célébré l’Eucharistie le
soir de la Cène, y lisons-nous, est en métal fondu, repoussé, en forme de
cadre, monté sur un pied circulaire. La bordure du cadre porte des motifs
quadrilobés représentant le Christ et ses apôtres, avec une particularité rare,
le personnage de Judas étant inversé. Une inscription figure sur la bordure :
MUNDI ESTIS SED NON OMNES HOC EST CORPUS MEUM. Ce reliquaire date de la
deuxième moitié du XIXe siècle[63].
*
* *
Au
terme de cette étude sur la Sainte Nappe, deux points restent à clarifier ou à
préciser. D’une part la date exacte à partir de laquelle, au XIIe
siècle, l’on commence à parler de l’existence de cette relique ou le document
qui en fait état et, d’autre part, la date et le contenu des bulles
pontificales accordant des indulgences aux pèlerins présents dans cette
métropole pour y vénérer le Saint Mantil.
Si nous en croyons les sources, nombre de Souverains Pontifes en auraient
octroyé, mais nos recherches dans les Registres
pontificaux des papes du XIIIe siècle, Innocent IV (1243-1254),
Alexandre IV (1254-1261), Urbain IV (1261-1264), Clément IV (1265-1268), Martin
IV (1281-1285), Honorius IV (1285-1287), Nicolas IV (1288-1292), ont été
infructueuses[64].
Résumons les principaux arguments qui permettent dans l’état de la question de
faire jouer le bénéfice du doute :
a) Le fait que Zacharie soit
contemporain de notre Seigneur et disciple de Simon-Pierre.
b) Le poids de la tradition.
c) Les indulgences accordées par les
Pontifes romains.
d) Le culte régulier rendu
officiellement à la Sainte Nappe jusqu’à une époque récente.
e) Les miracles qui lui sont attribués.
f) La mention de la Sainte Nappe dans
l’un ou l’autre martyrologe.
g) La piété du peuple chrétien.
h) Le témoignage du curé de
Saint-Maurice.
Quand
bien même la présence de la Nappe à Vienne ne serait pas attestée avant le XIIe
siècle, cette relique ne saurait être négligée. Les sarcasmes des anticléricaux
reflètent une réalité, celle de la reconnaissance de l’existence de reliques
par eux remises en cause[65]. Ils se
font les témoins involontaires de la piété populaire et de la dévotion
solidement enracinée dans la liturgie.
En
tout cas, pour lever le doute évoqué, ne conviendrait-il pas de procéder à une
analyse scientifique de la Sainte Nappe, notamment sa datation par le carbone
14 ou de la soumettre à la spectroscopie ?
Le
procédé n’est pas parfait, mais il suffirait à dirimer la question d’une
origine du Ier siècle ou simplement médiévale. Cet examen serait
probablement la seule façon d’obtenir une assurance, quelle qu’elle soit, et de
dissiper, sinon toutes les zones d’ombre subsistant, ce qui relève probablement
de l’impossible, du moins certaines d’entre elles.
[1] Lévy, M., Et si
c'était vrai..., Paris, Robert Laffont, 2000, p. 228.
[2] Accarias, J., Bulletin de l’Académie Delphinale, 3e série, XV, p. 282.
[3] Silvy, É., Bulletin de l’Académie Delphinale, 4e série, XIV, p. 32.
[4] Du Parc-Locmaria, comte
Y., Bulletin de l’Académie Delphinale, 5e série, 18-20, p. 161.
[5] Bossuet, Oraison funèbre du très haut et très
puissant prince Louis de Bourbon, 1649.
[6] Péguy, Ch., Deuxième Élégie XXX, Paris, Gallimard,
1955, p. 134.
[7] LE LIEVRE (J.) (orthographié aussi Lelièvre), Histoire de l’Antiquité et Saincteté de la
Cité de Vienne en la Gaule celtique, Vienne, 1623.
[8] Une tradition datant au moins de 1239 rapporte que saint Zacharie
est enterré dans l’église Saint-Pierre de Vienne (cf. CHEVALIER [U.,], Choix de documents historiques inédits sur
le Dauphiné publiés d’après les registres conservés à la bibliothèque de
Grenoble et aux archives de l’Isère, Grenoble, 1874, t. II, 5e
livre, p. 20). Son corps est « relevé de terre sous le pontificat
d’Innocent IV, qui aurait fait à l’occasion une concession d’indulgences »
(GROSPELLIER, « Mélanges d’hagiographie dauphinoise. Les listes
épiscopales de Vienne », Bulletin d’histoire ecclésiastique et
d’archéologie religieuse des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Viviers
20 [1900], p. 22). Le volume de la 7e année du pontificat manque
(cf. BERGER [Élie], Les Registres
d’Innocent IV publiés et analysés d’après les manuscrits originaux du
Vatican et de la Bibliothèque Nationale, t. I, p. IX).
[9] CHORIER (Nicolas), Histoire
générale du Dauphiné, Grenoble, 1661, vol. 1, p. 369.
[10] LE TOURNEAU (Dominique), « Origine
apostolique du diocèse de Vienne. Une question débattue », La Lettre des Académies des Sciences,
Lettres et Arts, n° 37, septembre 2021.
[11] CAVARD (Pierre), Vienne la Sainte,
op. cit., p. 91.
[12] Le 25 mai 103, selon MERMET, Chronique
religieuse de Vienne (Dauphiné), op.
cit., p. 12.
[13] LE LIEVRE (J.), Histoire de
l’Antiquité et Saincteté de la Cité de Vienne, op. cit., p. 58 : « Mittat Dominus nofter Iefus Chriftus
angelum fuum qui præparet iter tuum, & quæ poftulaveris adiiciat. Accipe hoc munufculum per quo
Dominus nofter IIefus Chriftus, antequam pateretur nobis corpus & fanguinem
fuum dedit in cibum. Et ofculum eum, emifit a fe. »
[14] Recherches sur les précieuses
reliques vénérées dans la Sainte Église de Vienne par
le curé de Saint-Maurice (en réalité Jacques ROBIN), Vienne, 1876, p. 1.
[15] PARFAIT (Paul), La Foire
aux reliques, Paris, s.d. (XIXe s.)., p. 346.
[16] MÉLY (Fernand de), Exuviæ sacræ constantinopolitanæ. La
croix des premiers croisés. La Sainte Lance. La Sainte Couronne, Paris,
1904, p. 184.
[17] SAINT AMABLE (Bonaventure de), Histoire
de S. Martial apôtre des Gavles et principalement de l’Aqvitaine et dv
Limosin ; ou la défense de son apostolat contre les critiques du temps,
Clermont, 1676.
[18] ROHAULT de FLEURY (Ch.), La
Messe, études archéologiques sur ses monuments, Paris, 1883, t. VI,
« vêtements d’autel », p. 171.
[19] RIANT,
Exuviæ sacræ Constantinopolitanæ,
Genève 1878, t. II, p. 211 et 213, « Catalogus reliquiarum C. P. »
par Nicolaus Thingeyrensis.
[20] Selon HOPPENOT (J.), La Messe
dans l’histoire et dans l’art, dans l’âme des saints et dans notre vie,
Lille-Paris-Bruges-Bruxelles-Rome, 1906, p. 3-4.
[21] Martyrologe gallican, André du Saussay éd., 1637, Paris, p. 308 : « Munificentiæ
verò eiusdem in Viennenses, extat sacra mappa super quam Christus Dominus in
vltima coena diuina mysteria celebrauit, pretiosissimum pignus, atque præclarum
& efficax Christianæ pietatis & devotionis monimentum. »
[22] GUÉRIN
(Mgr Paul), Les Petits Bollandistes, op.
cit., tome 6, p. 178.
[23] Bollandistes, 27 mai, édition de 1867,
Victor Palmé.
[24] Sous le titre « Nobilissimis et venerandis dominis, domino
decano et canonicis Sancti Petri Viennensis Elogium Sacræ Mappæ » :
« Venerare hanc Mappam quisquis es / Consecrauit illam Deus dum ei
accubuit. / Hac in Mappa conuiua Christus, & conuiuium fuit, / Hac in Mappa
panem et vinum mutauit in Deum, / Hac in Mappa cibus Apostolis fuit, &
cibus cibi, / Quale conuiuium in quo edit, & editur Deus ! / Creditur
Deipara hanc telam texuisse, / Præuiderat futurum conuiuisi, & Mappam
posuit. / Interseuit telæ lilia acu picta, / Pinxit seipsam, & filium dum
lillia pinxit, / Sedit inter lillia Christus, & lilium fuit. / Seruire aliis
cœnis post hanc cœnam Mappa non debuit, / Collegit illam Petrus, & fleuit
quoties tetigit, / Memor conuiuij in quo Deus ipse conuiua fuit. / Debebatur
Galliæ hæc Mappa interresta lillis, / Debebatur Vienna quæ primaria vrbs
galliarum tunc fuit ; / Donauit illam Petrus Viénæ vbi olim honorandam
præuidit, / Tulit donum Zacharias Discipulus Christi, & Petri, / Ne dubites
de testimonio, protomartur Galliarum fuit. / Nec antiquæ rei quærendus est
testis nouus ; / Probat seipsam antiquitas testis sui ; / Fidem
faciunt sexdecim sæcula dum aliquid tradunt, / Temerarius est qui id negat quod
tempus affirmat. / Ex eo collige antiquitatem Ecclesiæ Viennensis, / Fundauit
illam Paulus, Crescens auxit, Zacharias rexit, / Adhuc Martyris sanguis ad
Carmelitas rubet in lapide, / Certior esse non potest fidei testis quam
sanguis. / Abi Viator, & reuerere hanc Mappam, si pius es, / Materies
vrtica est, pungit impium qui non credit. » Y font suite une
anagramme : « Eucharistiæ Sacramentum
/ Chara Ceres mutata in Iesum », et une épigramme :
« Charam hac in Mappa ererem mitauit Iesu, / Non est hæc Cereris, sed
Sacra Mappa Dei, / Panis erat diuina Ceres, post enthea verba, / Incipit esse
Deus, definit esse Dea » (Les Éloges
en français et en latin de Vienne souterraine et de la Sainte Nappe, avec deux
lettres du sieur de Mantes sur l’ancienneté et la saincteté de Vienne,
Vienne, 1668, p. 11-12. D’après Charvet,
l’auteur de cet opuscule serait Chorier).
[25] DEVAUX
(Prosper), L’Eucharistie à travers les
siècles. Aperçu historique, Paris, 1919, p. 153.
[26] L’Éducation catholique, 11e année,
n° 42, 17 juillet 1891, p. 657.
[27] BAFFERT
(Pierre), Monographie historique,
archéologique et artistique de l’Église Saint-Maurice de Vienne, 1901, p.
57.
[28] C’est ce qu’affirmaient CORNEILLE (Thomas), Dictionnaire universel géographie et historique contenant la
description des Royaumes…, Paris, 1708, vol. III, p. 762 ; DULAURE
(Jacques-Antoine), Description des
principaux lieux de la France, Paris, 1789, p. 307 ; COLLIN de PLANCY
(J. A. S.), Dictionnaire critique des
reliques et des images miraculeuses, Paris, 1822, t. III, p. 229.
[29] DOR (Pierre), « Les reliquaires de la Passion en France du Ve
au XVe siècle », Histoire
médiévale et archéologique 10 (1999), p. 185.
[30] HOPPENOT (J.), La Messe
dans l’histoire et dans l’art, dans l’âme des saints et dans notre vie, op. cit., p. 3 ; BAFFERT (Pierre),
« L’Église primatiale Saint-Maurice (cathédrale de Vienne) », dans Annales Dauphinoises 1 (1900), p. 244.
Il s’agit du Trésor Impérial, dans la Schweizerhof. Cf. Autriche, Lonely Planet, 2017, p. 66. Le reliquaire, daté de 1518,
à Nuremberg, est d’Hans Krug.
[31] HOPPENOT (J.), La Messe
dans l’histoire et dans l’art, dans l’âme des saints et dans notre vie, op. cit., p. 4.
[32] CORBLET (Jules), Histoire
dogmatique, littéraire et archéologique du sacrement de l’Eucharistie,
Paris-Bruxelles-Genève, 1885, p. 66.
[33] CORROZET (Gilles), La Fleur
des antiquités et singularités de Paris, Paris, 1533, chap. 12 ;
MÜNSTER (Sebastian), La Cosmographie universelle de tout le monde : en
laquelle, suiuant les auteurs plus digne sde foy, sont au vray descriptes
toutes les parties habitables, & non habitables de la Terre, & de la
Mer […], auec trois Tables, 1575. L’affirmation est reprise par BÉRAUD
(Antoine Nicolas) et DUFEY (Pierre-Joseph-Spiridion), Dictionnaire historique de Paris, vol. 1, 1828, p. 155 (qui
mentionnent dans l’inventaire des reliques, « la sainte nappe, en un
tableau ») ; OLLIVIER (Jules), La
France littéraire : politique, sciences, beaux-arts 8 (1833), p. 21.
La Nappe est mentionnée sans source dans
http://chrisagde.free.fr/capetiens/saintechapelleb.htm
[34] COLLIN de PLANCY (J. A. S.),
Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, op. cit.,
t. II, p. 60.
[35] SANABRÍA SIERRA (María del Carmen), thèse de doctorat mentionnée
dans
https://fr.aleteia.org/2017/07/30/ce-morceau-de-tissu-est-il-la-nappe-utilisee-lors-de-la-cene/
[36] Recherches sur les
précieuses reliques vénérées dans la Sainte Église de Vienne, op. cit., p. 175.
[37] Le nom est tiré de l’introït du dimanche de Quasimodo, dans
l’octave de Pâques. Il fait « allusion aux néophytes, baptisés pendant la
vigile pascale : ils y ont reçu un vêtement blanc, rappelant la robe
blanche des élus de l’Apocalypse (7, 9), qu’ils déposaient la veille de ce
dimanche, appelé aussi, pour cette raison, dimanche in albis » (LE TOURNEAU [Dominique], Les mots du christianisme. Catholicisme – Orthodoxie – Protestantisme,
Paris, 2005, p. 216).
[38] Autre nom de l’église Saint-Pierre.
[39] Chorier
parle, lui aussi, d’indulgences accordées par le pape Innocent IV (cf. CHORIER
[Nicolas], Recherches sur les antiquités
de la ville de Vienne, métropole des Allobroges, capitale de l’empire romain
dans les Gaules et des deux royaumes de Bourgogne, Lyon, 1828, p. 273). À
vrai dire, cette affirmation aurait besoin d’être étayée par des références
précises.
[40] LE LIÈVRE (J.), Histoire de
l’Antiquité et Saincteté de la Cité de Vienne, op. cit., p. 59.
[41] C’est-à-dire en remplissant les conditions fixées par l’Église
pour obtenir les indulgences.
[42] CAVARD (Pierre), Vienne la
Sainte, op. cit., p. 81.
[43] PARAVY (Pierrette), De la
chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné. Évêques, fidèles et déviants (vers
1340-vers 1530), Collection de l’École française de Rome 183, 1993, vol. I,
p. 728.
[44] MERME(T.), Chronique
religieuse de la ville de Vienne (Dauphiné), op. cit., p. 286. Fait repris brièvement par TAYLOR (I.), Voyages pittoresques et romantiques dans
l’ancienne France, Paris, 1854, Dauphiné, p. 77.
[45] Archives municipales de Vienne, GG 31, n° 30, cité par CAVARD
(Pierre), Vienne la Sainte, op. cit., p. 81.
[46] Cf. CAVARD (Pierre), Ibid.,
p. 81.
[47] JOANNES A BOSCO, Floriacensis
vetus bibliotheca Benedictina, sancta, apostolica, pontificia, cæsarea, regia,
franco-gallica, Lyon, 1605, texte XXVIII, « Antiquæ, sanctæ ac
senatoriæ Viennæ Allobrogum Gallicorum et prophanæ antiquitates », p. 22.
[48] CAVARD (Pierre), Vienne la
Sainte, op. cit., p. 82.
[49] Fundatio Sanctæ
Viennensis Ecclesiæ, quando et a quibus dotes et bona tam spiritualia quam
temporalia obtinuit, ms 10680.
[50] Cf. LE QUERE (François), Un
missionnaire au XVIIIe (Jean-Jacques Bridaine), Paris, 1959.
[51] Cf.
MERMET, Chronique religieuse de la ville
de Vienne (Dauphiné), op. cit.
[52] Elle a été donnée le jour de Pâques 1620 par Jérôme de Villard,
évêque de Vienne. Cf. DOR (Pierre), Les
épines de la Sainte Couronne du Christ en France, Paris, 2009, p. 588.
[53] CAVARD Pierre, Vienne la
Sainte, op. cit., p. 82.
[54] Archives départementales de l’Isère, Fonds de Saint-Pierre de
Vienne, cité par PRUDHOMME (A.), « Le Trésor de Saint-Pierre de
Vienne », dans Bulletin de
l’Académie Delphinale, 3e série, 19 (1884), p. 132 ; CAVARD
(Pierre), Vienne la Sainte, op. cit., p. 81.
[55] Archives départementales de l’Isère, Fonds de Saint-Pierre de
Vienne, cité par PRUDHOMME (A.), « Le Trésor de Saint-Pierre de
Vienne », loc. cit., p. 134.
[56] Inventaire annexé au registre des délibérations de la
municipalité, de 1791 à 1792.
[57] Recherches sur les
précieuses reliques vénérées dans la Sainte Église de Vienne, op. cit., p. 6, qui se
rapporte au témoignage de M. Leymin et de l’auteur de l’inventaire. Cf.
également HOPPENOT J., La Messe dans
l’histoire et dans l’art, dans l’âme des saints et dans notre vie, op. cit., p. 3.
[58] Une photo est donnée par BAFFERT (Pierre), « L’Église
primatiale Saint-Maurice (cathédrale de Vienne) », loc. cit., p. 245.
[59] « Cet acte fut dressé par M. Pagnon, vicaire-général, et
très-régulièrement contre-signé et scellé par le secrétaire de l’archevêché »
(Recherches sur les précieuses reliques
vénérées dans la Sainte Église de Vienne, op. cit., p. 7).
[60] Ibid.
[61] Ibid., p. 7-8.
[62] http://prosamor.wixsite.com/reliquesdelapassion/la-nappe-de-la-cne
[63]Cf. http://www.inventaire.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=Rh%f4ne%2dAlpes%20&NUMBER=165&GRP=2&REQ=%28%28Rh%f4ne%2dAlpes%29%20%3aLOCA%20%29&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=3&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=200&MAX3=200&DOM=Tous
La Sainte Nappe ne figure pas dans les objets et mobiliers classés, au 1er
juin 1960 : cf. « Monuments, immeubles, sites et objets mobiliers
protégés ou classés au titre de la législation sur les monuments
historiques », Bulletin de la
Société des amis de Vienne, n° 57-58 (1961-1962), p. 95-100.
[64] Il est vrai que les pièces contenues dans les registres, sont
« loin de représenter toute l’activité de la chancellerie pontificale
entre 1243 et 1254 » (BERGER [Élie], Les
Registres d’Innocent IV, op. cit.,
Paris, t. Ier, 1884, p. xxvi), remarque valable pour les autres
registres pontificaux.
[65] Même s’il écrit pour railler, Jules Ollivier doit bien
reconnaître que « la sainte nappe opérait beaucoup de miracles » (OLLIVIER
[Jules], La France littéraire, loc. cit.).
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Dominique
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