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mardi 28 octobre 2025

La christianisation de la Gaule au Ier siècle (3)

III. – Preuves indirectes de l’introduction du christianisme dans les Gaules, avant le IIIe siècle

 

Nous voulons grouper dans ce chapitre les principales preuves de l’évangélisation de l’Espagne et de l’Angleterre avant le IIIe siècle, époque que nos adversaires assignent à la prédication des Gales. S’il est avéré que l’Ibérie et la Grande-Bretagne ont reçu des missionnaires aux deux premiers siècles, il faudra bien admettre qu’ils ont suivi, les uns, la voie Aurélienne, qui conduisait de Rome à Cadix, en longeant les côtes maritimes de la Gaule méridionale ; les autres, la voie militaire qui, partant de Rome, aboutissait à Gessoriacum (Boulogne), d’où l’on s’embarquait pour les îles Britanniques. Or, tous les monuments historiques démontrent que l’usage invariable des premiers prédicateurs était de semer la parole divine partout où ils passaient : donc ils n’ont pas pu traverser une grande partie des Gaules sans l’évangéliser, et il serait tout à fait illogique de supposer que le zèle des Apôtres et de leurs disciples se fût porté uniquement sur des points extrêmes, en négligeant complètement les parties intermédiaires.

La tradition espagnole ne s’appuie pas uniquement sur ces légendes dont nos adversaires déclinent l’autorité. il résulte de la lettre que saint Cyprien adressa au clergé d’Espagne, au sujet de Basilide et de Martial,[1] que cette péninsule avait, dès cette époque, des évêchés constitués, des cimetières spéciaux pour les chrétiens, des réunions conciliaires, en un mot, tout ce qui dénote une très-ancienne organisation religieuse. Dès le IIe siècle, Tertullien affirmait que toutes les contrées de l’Espagne étaient soumises à Jésus-Christ.[2] Didyme d’Alexandrie[3], saint Jérôme[4], Théodoret[5], saint Isidore de Séville[6] nous disent tous qu’elles ont été évangélisées par les Apôtres.

On a découvert, dans les ruines de Marcussia (province de Burgos),une inscription qui félicite Néron d’avoir purgé la province des voleurs et de ceux qui prêchaient au genre humain une superstition nouvelle, ce qu’il faut entendre par le Christianisme, que Tacite[7] et Suétone[8] désignaient sous le même nom :

NERONI CL(audio)

CAES(ari) AVG(usto) PONT(ificii) MAX(imo)

OB PROVIN(ciam) LATRONIB(us)

ET JIS QVI NOVAM

GENERI HVM(ano)

SVPERSTITIONEM INCVLCAB(ant)

PVURGATAM[9].

 

Nous savons bien que quelques savants ont considéré cette inscription comme apocryphe ; mais, son authenticité a été revendiquée par d’autres érudits, et spécialement par Ernest Walch, professeur à l’Université d’Iéna, qui a composé deux dissertations sur ce précieux monument[10].

L’Espagne honore d’un culte spécial un certain nombre de Saints qui l’ont évangélisée au premier siècle[11] ; pour ne point nous attarder dans de trop longs détails, nous ne voulons parler que du voyage de saint Paul ; l’apôtre des Gentils écrit de Corinthe aux Romains : « Lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’espère vous voir en passant, afin qu’après avoir joui quelque peu de votre présence, vous me conduisiez dans cette contrée-là[12]. » M. Tailliar nous dit à ce sujet (page 7) : « Quant à saint Paul, il paraît avoir eu l’intention de se rendre en Espagne. Mais rien n’indique qu’il ait réalisé ce projet. Ses prédications s’étendirent depuis Jérusalem jusqu’à L’Illyrie, mais n’allèrent point au-delà. » Si les Livres saints ne nous parlent point de la réalisation du projet bien accentué de l’Apôtre, elle nous est attestée par tant d’écrivains des premiers siècles qu’on ne saurait la mettre en doute. La tactique de nos adversaires consiste souvent à nier, de parti pris, l’authenticité des textes qui les gênent ; mais ils ne pousseront pont assurément la témérité jusqu’à rejeter en bloc les témoignages de saint Clément[13], de saint Athanase[14], de saint Cyrille de Jérusalem[15], de saint Épiphane[16], de saint Jean Chrysostome,[17] de Théodoret[18], de saint Jérôme[19], de saint Grégoire le Grand[20], etc.

Ainsi donc, les renseignements des principaux Pères de l’Église sont en harmonie avec nos légendes, aussi bien qu’avec les traditions locales qui signalent la présence de saint Paul à Arles et à Narbonne, et on devra nous expliquer comment l’Apôtre aurait été atteint de mutisme en traversant la Gaule méridionale, et comment il aurait dédaigné d’y laisser quelques-uns de ses compagnons[21].

Nous ferons la même observation pour le missionnaires qui traversèrent diagonalement la Gaule pour se rendre en Angleterre. Laissons de côté, si l’on veut, l’identité de Claudia Ruffina, fille d’un roi breton, avec la femme chrétienne du sénateur Pudens, ainsi que les légendes qui concernent saint Joseph d’Arimathie, l’apôtre saint Simon, saint Polycarpe, Aristobule, etc., et continuons à n’appeler à notre aide que les Pères de l’Église et les historiens des premiers siècles.

Pomponia Græcina, femme du proconsul Aulus Plautius, le premier qui, sous l’empire de Claude, fit en Angleterre des conquêtes durables, « fit accusée », dit Tacite, « d’avoir embrassé une superstition bizarre et étrangère » », c'est-à-dire la religion chrétienne[22].

Le vénérable Bède nous apprend que, vers le milieu du second siècle, Lucius, roi des Bretons, écrivit au pape Eleuthère pour solliciter des missionnaires, que c’est ainsi que l’Angleterre fut convertie à la foi, et qu’elle en goûta les bienfaits en toute quiétude jusqu’au règne de Dioclétien[23]. Ne nous étonnons donc pas que Tertullien[24] et saint Gildas[25] nous parlent de cette conversion précoce de la Bretagne, qui avait été ébauchée antérieurement par les disciples des Apôtres, d’après les témoignages de Théodoret, de saint Hilaire[26], d’Origène[27] et d’Eusèbe de Césarée[28].

Si nous avons pu conclure, des textes généraux réunis dans le chapitre précédent, que la Gaule a dû être évangélisée dès le premier siècle, nous sommes maintenant bien plus en droit d’affirmer notre opinion, et nous pouvons dire qu’en face de l’Angleterre et de l’Espagne, visitées pendant les deux premiers siècles par les ouvriers apostoliques, le délaissement de la Gaule serait un fait inadmissible, et que le système de nos contradicteurs est marqué du cachet de la plus complète invraisemblance.



[1] Baluze établit l’authenticité de cet écrit qu’avait niée Launoy.

[2] Hispaniarum omnes termini… Christo subditi.

[3] Ad diversas provincias perexisse (Apostolos), ut alius ad Indos, alius ad Hispanias, aliud ad Illyricus, aliis ad Græciam pergeret (In cap. xxxiv Isaiae.).

[4] Qui (Apostoli) de Hierusalem usque ad Illyricum et Hispanias evangelium prædicaverunt, captentes in brevi tempore ipsam quoque romanæ urbis potentiam (In caput xlii Isaiae.).

[5] Exposit. II epist. ad Timoth.

[6] De Vita atque obitu sanctorum.

[7] Exitiabilem superstitionem (Annal., xv, c. 44).

[8] Superstitiones novam et maleficam (In Nerone, c. xvi).

[9] Cette inscription est reproduite dans Gruter, p. 238 ; Baronius, ad ann. 69, n° 46 ; Maceda, p. 101 ; les Bollandistes, 17 oct., p. 23, etc.

[10] Marmor Hispaniæ effosum.Persecutionis christianorum Nerinianæ in Hispania ex antiquis monumentis probanda uberior explanatio.

[11] Saint Marcel et saint Rufus, fondateurs des églises de Tolède et de Tortosa ; saint Saturnin, évêque de Toulouse, etc. Nous lisons au 15 mai dans le Martyrologe romain : « In Hispania, SS. Torquati, Ctesiphontis, Secundi, Indaletii, Cæcilii, Hesychii et Euphrasii, qui Romæ a sanctis Apostolis episcopi ordinati et ad prædicandum verbum Dei in Hispanias directi sunt ; cumque variis urbibus evangelizasent et innumeras multitudines Christi fidei subjugassent, in ea provincia diversis locis quieverunt.

[12] Quum in Hispaniam proficisci cœpero, spero quod præteriens videam vos, et a vobis deducar illuc, vobis primum ex parte fruitus fuero (Epist. ad Rom., xv, 24). Plus loin (verset 28), il ajoute : Per vos proficiscar in Hispaniam.

[13] Epist. ad Corinth.

[14] Studio fuit sancto viro (Paulo) ad Illyricum illud (evangelium) prædicare ; neque segnescere, neque emittere, quia Romam iret, et in Hispaniam ascenderet (Epist. Ad Drucontium.).

[15] Effusus est super faciem universæ Ecclesiæ ut praedicaret evangelium de Hieroslymis usque ad Illyricum et ædificaret non super alienum fundamentum, ubi jam fuerat prædicatuum, sed usque ad Hispanias tenderet et a mari rubro, imo ab oceano usque ad oceanum tenderet (In caput V Amos).

[16] Hæres. xxvii.

[17] Videas eum (Paulum) ab Hierosolymis usque Hispanias currentem : nam cum Romæ biennium exegisset in vinculis, tandem dimissus est, deinde in Hispaniam profectus (Homel. lxxvi in Matth.). Voir aussi Præf. in epist. ad Hebraeos.

[18] In Psalm. cxvi.

[19] In Isaia, c. 2.

[20] Ecce Paulus, cum nunc Judæam, nunc Corinthum, nunc Ephesium, nunc Romam, nunc Hispaniam pateret… qui se aliud quam esse aquilam demonstrabat ? (In Job l. xxxi). Voyez aussi ib. III Moral., c. xxii.

[21] Sur le voyage de saint Paul en Espagne, voyez un article de M. Laou dans la Revue des Sciences ecclésiastiques, t. IV, p. 47, et un travail de M. Bonnetty dans les Annales de philosophie chrétienne, Ve série, t. V, p. 275.

[22] C’est l’avis unanime de tous ceux qui se sont occupés de Pompona Græcina, entre autres de Juste Lipse, Ernesti, Baronius, Tillemont, M. l’abbé Greppo, M. de Champagny, M. de Rossi, Dom Guéranger, etc.

[23] « Anno ab Incarnatione Domini 156, Marcus Antonius Verus regnum cum Aurelio Commodo fratre accepit. Quorum temporibus, cum Euletherius vir sanctus Pontificatui romanæ Ecclesiæ præesset, misit ad eum Lucius, Britannorum rex, epistolas, obsecrans ut per ejus mandatum christianus efficeretur, et mox effectum piæ postulationis consecutus est : susceptamque fidem Britanni usque in tempore Diocletiani principis inviolatam integramque quieta pace servabant » (Hist. Angl., l. 1, c. 4). Il y a dans ce texte quelques confusions de noms et de dates, qui ne portent d’ailleurs aucun préjudice à notre thèse. Marc-Aurèle ne prit Lucius Commodus Verus pour collègue qu’en 161. Marc-Aurèle était père et non pas frère de Commode.

[24] Britannorum inaccessa Romanis loca Christi vero subdita fuisse (Ad Scapul., c. VII).

[25] Interea glaciali frigore rigente insula… Verus ille sol, universo orbi præfulgidum sui coruscum extendens, tempore, ut scimus, summo Tiberii Cæsaris, radios suos primum indulget, id est sua præcepta, Christus. Quæ licet ab incolis rapide suscepta sunt, apud quosdam tamen integre, et alios minus, usque ad persecutionem Diocletiani (De Excidio Britanniæ).

[26] Texte cité plus haut, à la note 55.

[27] Homel. VI in Lucam et Homel. IV in Ezech.

[28] Alios perro trans oceanum evasisse ad eas insulas quæ Britannica vocantur (Demonstr. Evang., l. III, c. 5).


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