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lundi 8 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (4)

Une vie spirituelle sérieuse s’impose donc.

Parlons de cette vie intérieure solide, qui nous apparaît donc comme une condition sine qua non pour avancer sur le chemin de la sainteté et de l’apostolat, de la sainteté apostolique, pourrions-nous dire.

La recherche de la sainteté tout comme l’action évangélisatrice requièrent avant tout de développer une vie de prière. Notre Seigneur nous a clairement mis en garde : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Et, selon l’adage classique, « nul ne donne ce qu’il n’a pas ».

La messe dominicale est un minimum établi par notre sainte mère l’Église pour notre bien. Nous devrions être enthousiastes de la messe, puisqu’il nous y donné de revivre le sacrifice libérateur de la Croix et de pouvoir, si notre âme est bien disposée, recevoir dans la sainte communion l’auteur de toutes les grâces, notre Seigneur Jésus-Christ !

Mais comme il nous serait profitable de nous proposer des moments de prière au cours de la journée, à heure fixe ! Nous faisons l’expérience de nos limites, de notre incapacité à résoudre nombre de problèmes qui se présentent à nous, de notre faiblesse en présence des tentations.

Ouvrons l’Évangile. Nous constatons que Jésus ne cesse de nous inciter à prier, sans nous décourager et avec insistance, pour obtenir des grâces de son Père. Lui-même nous donne l’exemple de quelqu’un qui prie en toute circonstances et en tous lieux.

Notre Seigneur affirme qu’il prie pour nous. Il nous apprend aussi que le Saint-Esprit intercède auprès du père en notre faveur, « avec des gémissements ineffables ».

Comment ne pas entendre ses invitations répétées ? Comment ne pas chercher à imiter notre Seigneur et l’Esprit Paraclet ?

Je sais bien que le principal obstacle qui nous retient est le manque de temps. Mais n’éprouvons-nous pas une certaine honte de consacrer si peu de temps à Dieu alors que nous prenons pas mal de temps pour nous, ne serait-ce que sur les réseaux sociaux et sur l’internet ?

Vous voyez comme il convient de nous y prendre si nous voulons faire une large place à Dieu dans nos journées. Sainte Jeanne d’Arc se proposait que Messire Dieu soit le premier servi. Nous ne nous repentirons jamais d’agir ainsi. Nous regretterons toujours de ne pas le faire.(lire la suite)Une conséquence consiste à comprendre que la vie chrétienne, pour un laïc, ne lui demande pas de passer des heures à l’église – ce serait un désordre et manquer à ses devoirs d’état – mais d’adopter une attitude habituelle de prière.

Je m’explique. Si, comme nous le disions tout à l’heure, nous offrons à Dieu toutes les activités que nous réalisons, le travail professionnel, les tâches ménagères, les occupations matérielles, les repas, les loisirs et mêle sommeil, alors tout se transforme en prière. Et si nous les offrons à une intention déterminée, tout devient occasion d’évangélisation. Saint Josémaria résumait cela en parlant de « sanctifier le travail, se sanctifier grâce à son travail et sanctifier les autres par son travail ».

Mentionnons aussi une autre forme de prière, qui n’a guère la côte de nos jours : le sacrifice, les privations volontaires. Elle s’impose pourtant, si nous voulons vivre à fond notre vocation chrétienne. Le Seigneur a clairement indiqué que la condition de disciple requiert de renoncer à soi et de porter sa croix chaque jour. Nous ne pouvons pas faire l’économie de la croix. Elle n’a rien de négatif, puisque c’est par la sainte Croix que notre Seigneur a voulu racheter le monde. Par elle, le Seigneur a donné un sens nouveau à la souffrance sous toutes ses formes, à nos renoncements volontaires pour faire face avec vision surnaturelle aux épreuves de la vie. L’Église ne nous invite-t-elle pas à vénérer la sainte Croix ?

La sanctification de la vie de chaque instant n’est pas une question de temps, mais d’amour de Dieu.

Vous connaissez peut-être l’anecdote suivante :

« Un jour un vieux professeur fut engagé pour donner une formation sur la planification efficace de son temps à un groupe d’une quinzaine de dirigeants de grandes entreprises. Ce cours constituait l’un des cinq ateliers de leur journée de formation. Le vieux professeur n’avait donc qu’une heure. Debout, il les regarda un par un, lentement, puis il leur dit : « Nous allons réaliser une expérience. » De dessous la table, le professeur sortit un immense pot de plusieurs litres qu’il posa délicatement en face de lui. Ensuite, il exhiba une douzaine de cailloux à peu près gros comme des balles de tennis et les plaça délicatement, un par un, dans le grand pot. Lorsque le pot fut rempli jusqu’au bord, et qu’il fut impossible d’y ajouter un caillou de plus, il leva les yeux vers ses élèves et leur demanda : « Est-ce que le pot est plein ? » Tous répondirent : « Oui. »

Il attendit quelques secondes et ajouta : « Vraiment ? » Alors il se pencha de nouveau et sortit de sous la table un récipient rempli de graviers. Avec minutie, il versa ces graviers sur les gros cailloux puis brassa légèrement le pot. Les morceaux de gravier s’infiltrèrent entre les cailloux jusqu’au fond du pot. Le vieux professeur leva à nouveau les yeux vers son auditoire et redemanda : « Est-ce que le pot est plein ? » Cette fois, ses brillants élèves commencèrent à comprendre son manège. L’un d’eux répondit : « Probablement pas ! »

« Bien ! » répondit le vieux professeur. Il se pencha se nouveau et cette fois sortit du sable de sous la table. Il le versa dans le pot. Le sable alla remplir les espaces entre les gros cailloux et les graviers. Encore une fois, il demanda : « Est-ce que le pot est plein ? »

Cette fois, sans hésiter et en chœur, les élèves répondirent : « Non ! » « Bien ! » répondit le vieux professeur. Et comme s’y attendaient les élèves, il prit le pichet d’eau qui était sur la table et remplit le pot jusqu’à ras bord.

Le vieux professeur dit alors : « Quelle grande vérité nous démontre cette expérience ? » Pas fou, le plus audacieux des élèves songea au sujet du cours, répondit : « Cela démontre que même lorsqu’on croit que notre agenda est complètement rempli, si l’on veut vraiment, on peut y ajouter plus de rendez-vous et plus de choses à faire. » Non, répondit le vieux professeur, ce n’est pas cela ! La grande vérité que nous démontre l’expérience est la suivante : si l’on ne met les gros cailloux en premier dans le pot, on ne pourra jamais les faire tous entrer ensuite. » Il y eut un profond silence, chacun prenant conscience de l’évidence de ces propos.

Le vieux professeur leur dit alors : « Quels sont les gros cailloux dans votre vie ? Votre santé, votre famille, vos amis, vos rêves, votre carrière professionnelle ? Ce qu’il faut retenir, c’est l’importance de mettre les gros cailloux en premier dans sa vie, sinon on risque de ne pas la réussir. Si on donne la priorité aux pacotilles – le gravier, le sable – on remplira sa vie de futilités, de choses sans importance et sans valeur, et nous n’aurons plus de temps à consacrer aux éléments importants. Alors n’oubliez pas de vous poser la question : quels sont les gros cailloux de ma vie ? Ensuite mettez-les en premier dans le pot de votre existence. » D’un geste amical de la main, le vieux professeur salua son auditoire et quitta la salle lentement[1]. »

Telle est donc la façon exacte de considérer notre relation à Dieu.

En envisageant la vie sous cet angle, celui d’un enfant qui entend faire plaisir à son Père et lui témoigner de son amour, nous comprenons la grandeur de la vie ordinaire, nous sommes convaincus que la vie de la femme et de l’homme est vraiment un chemin de sainteté, une vocation chrétienne magnifique, et nous nous émerveillons à la perspective des chemins divins que le Seigneur a ouverts pour nous sur la terre, des chemins qui conduisent tout droit au paradis.



[1] Card. Robert Sarah avec Nicolas Diat, Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Paris, Fayard, 2015, p. 172-174.

vendredi 5 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (3)

Ce qui importe donc avant tout pour un baptisé, ce n’est pas de réaliser une tâche déterminée, préparer le repas, conduire les enfants à l’école, organiser les vacances, exercer son métier, etc. Cela tout le monde le fait. Pour un chrétien, et c’est ce que l’Église attend de lui, fil s’agit de se sanctifier en préparant le repas, de se sanctifier en conduisant les enfants à l’école, de se sanctifier en organisant les vacances, de se sanctifier en exerçant son métier. C’est la même chose mais effectué dans une toute autre perspective, une perspective autrement attrayante et formidable.

« Pour moi, disait saint Josémaria, le travail d’une de mes filles membre de l’Opus Dei, qui est employée de maison, est de la même importance que le travail d’une de mes filles qui porte un titre nobiliaire. Dans les deux cas, la seule chose qui m'intéresse, c’est que le travail qu’elles effectuent soit un moyen et une occasion de sanctification pour elles-mêmes et pour les autres ; et le travail le plus important sera celui de la personne qui, dans sa propre occupation, et dans son propre état, devient plus sainte et accomplit avec le plus d’amour la mission reçue de Dieu. » Comme évoqué précédemment : qu’est-ce qui a le plus d’importance, le travail d’un ministre ou celui d’un balayeur des rues ? La réponse est identique : celui qui a le plus d’importance, c’est celui qui a été accompli avec plus d’amour de Dieu.(lire la suite)Nous ne nous situons pas au plan de la réussite humaine, mais à celui de la réussite surnaturelle. Soyons bien convaincus qu’il n’existe pas d’affaire plus important que celle de notre salut, de notre vie éternelle.

Rendre témoignage de sa foi avec naturel demande donc ce que saint Josémaria appelait « l’unité de vie ». Il expliquait ce concept en disant qu’il ne doit pas y avoir de compartiments étanches dans notre vie : d’un côté la vie de famille, d’un autre le travail, ou encore la vie de relation avec Dieu, les loisirs, etc. Mais que tout doit communiquer, imprimer sa marque aux autres aspects. Car nous sommes appelés à nous sanctifier par l’ensemble de nos actions, au risque d’être un pantin désarticulé. Parce que nous entendons nous sanctifier non seulement en participant à la messe dominicale ou en formulant quelques prières, seul ou en famille, mais aussi par tout le reste de notre vie. Autrement Dieu serait curieusement absent de la plus grande part de nos journées, qui perdraient de ce fait leur portée chrétienne, et seraient vécues comme si Dieu ne comptait pas pour nous, comme si elles étaient sans d’importance pour notre sanctification et pour l’évangélisation.

Il ne faut pas que nous en restions à l’horizontal, c’est-à-dire à accomplir des tâches que n’importe qui d’autre, à égalité de conditions, peut réaliser, peut-être même mieux que soi. Il convient de leur imprimer la verticalité, c'est-à-dire de les transcender, de leur donner une autre dimension en les faisant entrer dans la sphère de l’union à Dieu, de la prière.

Oui, vous avez bien entendu : de la prière. Un travail offert à Dieu se transforme en prière.

Si nous saisissons cela, nous comprenons de suite l’importance du travail professionnel et de toutes nos activités quotidiennes, même les plus banales, dans le plan de notre sanctification et de l’évangélisation.

Un théologien a fait remarquer que « l’ordre de Dieu à Adam « de cultiver [le jardin] et de le garder » emploie deux verbes hébreux, ‘aboda’ et ‘shama’. Deux mots riches, tous deux porteurs d’un double sens. Ils apparaissent ailleurs dans la Bible ; dans chaque cas pour décrire les devoirs ministériels des Lévites, la tribu des prêtres de l’ancien Israël. Le verbe ‘aboda’, souvent traduit par « servir », a en hébreu deux significations : le travail manuel ou bien le ministère sacerdotal, il peut suggérer les deux à la fois. Le verbe ‘shamar’ se traduit par « protéger » ou par « garder » et décrit la protection par les Lévites du lieu saint, le tabernacle, qu’ils gardent et protègent de la profanation.

Pour beaucoup de spécialistes de l’Écriture, l’auteur du Livre de la Genèse entendait suggérer tout cela dans le récit de la création d’Adam. Dieu créa Adam pour qu’il travaille et Il l’institua prêtre dans le temple cosmique. Ce n’étaient pas des activités séparées. Au commencement Adam a joui de l’unité de vie ; son travail était ordonné à l’adoration, il était en lui-même un acte d’adoration. À elle seule, la division du temps reflétait ce principe d’ordre. Dieu lui-même travailla six jours afin de sanctifier le septième en le rendant saint ; Dieu instaura le rythme du sabbat dans la structure de la création.

Par notre travail, nous pourrions ainsi adorer avec plus de perfection : adorer en travaillant »[1].

Le travail de l’homme revêt ainsi une valeur considérable dans le plan de la Rédemption. Le prouve le fait que Jésus lui-même ait voulu s’adonner à un métier. Si nous accomplissons notre propre tâche dans la perspective de notre sainteté et de cette d’autrui, cette tâche n’est jamais monotone, aussi répétitive soit-elle. Comme Monet le disait : « La Seine, je l’ai peinte toute ma vie, à toute heure, en toute saison. Je n’en ai jamais été las : elle est pour moi toujours nouvelle »[2].

Nous lisons dans un ouvrage de saint Josémaria : « Tu m’écris depuis ta cuisine, près du fourneau. L’après-midi commence. Il fait froid. À côté de toi, ta petite sœur (elle venait de découvrir la folie divine de vivre à fond sa vocation chrétienne) épluche des pommes de terre. Apparemment, penses-tu, son travail est le même qu’avant. Néanmoins il y a une si grande différence ! — C’est vrai : avant elle ne faisait “ qu’ ” éplucher des pommes de terre ; maintenant, elle se sanctifie en épluchant des pommes de terre. »

Voilà toute la différence de la part de quelqu’un qui a compris le sens profond de sa vocation chrétienne. Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenant conscience des implications d’une vie de foi, la personne en question a compris qu’elle ne pouvait pas se contenter d’éplucher des pommes de terre sans plus, mais qu’elle travaillait en présence de Dieu, pour la gloire de Dieu.

Saint Jean XXIII, devant qui j’ai eu l’honneur de jouer une modeste pièce de théâtre alors qu’il était nonce à Paris, disait que « le travail, grâce auquel on réalise sa propre perfection surnaturelle, contribue à répandre sur les autres les fruits de la Rédemption, et la civilisation dans laquelle on vit et travaille est pénétrée du levain évangélique »[3].

Le travail que nous réalisons, d’autres l’accomplissent aussi qui appartiennent à une autre religion, sont agnostiques ou se déclarent athées ou anticléricaux viscéraux. Et ils remplissent leur devoir peut-être mieux que vous, avec plus d’esprit professionnel, en étant plus brillants. Quelle différence existe-t-il donc entre leur travail et le vôtre ? Apparemment aucune.

Sauf précisément d’y introduire une portée spirituelle, de l’exécuter avec une vision d’éternité, en y apportant un supplément d’âme.

Dit autrement, le catholique que nous sommes ne peut en rester à l’horizontale, comme tout le monde. Sa conception de la vie et sa croyance en la vie éternelle, son amour de Dieu surtout l’amènent à ajouter la dimension verticale. À tout élever à l’ordre spirituel. Le travail change de perspective. Il n’est plus un simple gagne-pain ou l’occasion d’un épanouissement personnel et d’un service rendu à la société. Il devient une véritable prière. Il est accompli en présence de Dieu et offert à Dieu. Il nous fait participer à l’activité créatrice de Dieu, puisqu’il faut porter la création à son achèvement. Il est imitation de Jésus-Christ, qui a voulu exercer un métier, pour nous montrer la noblesse du travail. Il nous permet de développer notre personnalité d’enfant de Dieu. Et, si nous le déposons en esprit à l’autel, avec toute le reste de notre vie, il nous permet aussi de nous unir au Sacrifice rédempteur du Sauveur et, partant, d’être co-rédempteur avec lui.

Vous voyez l’immense portée d’un travail de l’homme réalisé dans une vision chrétienne de la vie. Je ne m’étends pas sur cette dimension évangélisatrice, puisque nous y reviendrons dans deux semaines.

Mais les perspectives que je viens d’ouvrir peuvent nous paraître difficiles à intégrer à notre vie. À tort. D’une part, ce serait ignorer la présence de la grâce que Dieu ne refuse jamais à qui la lui demande, et, d’autre part, ce serait ignorer que nous avons tous une obligation de rechercher la sainteté et de faire de l’apostolat.

[1] Scot Hann, Travail ordinaire grâce extraordinaire. Mon itinéraire spirituel dans l’Opus Dei, Paris, Le Laurier, 2009, p. 38.

[2] Monet, cité par G. Poteau, Le Déjeuner de Giverny [vie de Monet], Paris, Éditions Hors Commerce, 2006, p. 160.

[3] St Jean XXIII, enc. Pacem in terris

mardi 2 avril 2024

Le rôle des laïcs dans l'Eglise et dans le monde (2)

Le rôle spécifique des laïcs dans l’Église

Cette sorte de définition du laïc nous permet d’en venir donc au rôle des laïcs dans l’Église.

Quand nous pensons à ce rôle, nous pensons peut-être spontanément à diverses fonctions comme assurer la lecture ou le service d’autel au cours de la messe. Le pape François a d’ailleurs institué récemment un ministère laïc de lecteur et d’acolyte. Ou bien nous envisageons le fait d’assumer la fonction de catéchiste, de participer à la chorale paroissiale, d’intervenir au Conseil des affaires économiques paroissial, de porter la sainte communion aux malades et aux personnes âgées ne pouvant pas se déplacer, de faire la quête ou de distribuer à l’entrée de l’église la feuille paroissiale préalablement mise en forme et imprimée…

Tout cela est nécessaire au bon fonctionnement de l’Église. Mais nous n’y trouvons pas d’indication satisfaisante sur le rôle des laïcs dans l’Église. En réalité, avec ces différentes tâches, encore une fois fort utiles, nous sommes bien loin de l’essentiel. S’il fallait se limiter à ces tâches, matérielles pour nombre d’entre elles, nous serions sans plus en présence d’une cléricalisation des laïcs, contre laquelle le pape François nous a mis en garde. (lire la suite)Au cardinal Marty, archevêque de Paris, lui disant que « la mission propre des laïcs est d’ordonner les structures séculières selon le vouloir divin », st Josémaria répondit : « Oui, mais il faut d’abord qu’ils soient bien ordonnés en eux-mêmes : en étant des hommes et des femmes de vie intérieure profonde, des âmes de prière et de sacrifice. Autrement, au lieu d’ordonner ces réalités familiales et sociales, ils y introduiront leur propre désordre personnel. » Et ils se feront absorber par l’esprit mondain, au lieu de communiquer un style de vie chrétien au monde.

Cette remarque me semble très éclairante. Elle nous apporte au fond la réponse à notre question sur le rôle des laïcs. Ce que l’Église attend avant tout des fidèles laïcs, ce que le monde attend d’eux prioritairement, c’est qu’ils soient de bons catholiques, cohérents avec les engagements de leur baptême, donnant l’exemple de personnes qui, conscientes de leurs défauts, savent les reconnaître, demander pardon le cas échéant, et lutter pour progresser sur la voie de la sainteté.

L’appel à la sainteté est qualifié, par le concile, d’appel universel à la sainteté. Il ne s’adresse donc pas, encore une fois, aux seuls prêtres et religieux. Mais de la place qu’ils occupent dans la société, les laïcs, je cite, « sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d’un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l’esprit évangélique, et pour manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie, rayonnant de foi, d’espérance et de charité ».

Nous voyons ici que l’appel à la sainteté se complète par un appel à l’évangélisation. Tous deux sont inséparables. Notre Seigneur disait de lui-même : « Je me sanctifie pour eux », pour les autres. La recherche de notre sainteté personnelle, d’un progrès dans la pratique de la foi et des vertus n’a de sens qu’en fonction des autres, précisément parce que vous vivez au milieu du monde.

Ajoutons encore qu’il revient aux laïcs, « d’une manière particulière, d’éclairer et d’orienter toutes les réalités temporelles auxquelles ils sont étroitement unis, de telle sorte qu’elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ et soient à la louange du Créateur et Rédempteur ».

J’ai intitulé cette conférence « le rôle des laïcs dans l’Église et dans le monde ». Le décret conciliaire sur l’apostolat des laïcs l’explique en rappelant que « le laïc, qui est tout ensemble membre du peule de Dieu et de la cité des hommes n’a qu’une conscience chrétienne. Celle-ci doit le guider sans cesse ans les deux domaines » (n° 5).

Dans un document publié par le dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, nous pouvons lire qu’il existe « une différence fondamentale entre un bon mariage et un mariage saint ; dans un bon mariage, les conjoints s’efforcent de s’aimer ; dans un mariage saint, les époux remettent leurs efforts entre les mains de Dieu et leurs actions vont donc au-delà de ce qu’ils sont capables de faire, montrant ce que Dieu peut faire ». Nous pourrions gloser cette affirmation en mettant famille à la place de mariage, ou père et mère, chef d’entreprise, professionnel de quelque nature que ce soit.

samedi 30 mars 2024

Le rôle des laïcs dans l’Église et dans le monde (1)

Si vous prenez l’autoroute A 24, au sortir de Rome, 118 kms plus loin vous arrivez à Abruzzo. À peine entrés dans la ville, vous êtes invités à vous rendre au sanctuaire de la Madonna dei Bisognosi. Ce sanctuaire conserve une grande fresque du jugement universel, bien conservée et restaurée. Elle est significative d’une certaine « idéologie ». Y sont représentés au paradis des sœurs, des clercs et des religieux ; au purgatoire et dans l’enfer, se trouvent des représentants de pratiquement tous les métiers et toutes les professions existant à l’époque.

Le code de droit canonique de 1917, c'est-à-dire la législation universelle de l’Église catholique, parlait d’une sainteté des clercs et des religieux plus grande que celle des laïcs

L’Église était divisée en Église docens – enseignante – et Église discens – enseignée. Les fidèles laïcs n’avaient qu’à obéir à la hiérarchie. Ils étaient considérés comme des chrétiens de seconde zone, inférieurs aux prêtres et aux religieux, et pouvant difficilement se sauver au milieu des récifs de l’océan du monde.

Le peuple chrétien semblait s’accommoder vaille que vaille d’une telle situation subordonnée, même s’il ne manquait pas de fidèles désireux de grandir en sainteté et souffrant de ce que leurs aspirations légitimes fussent bridées.

Cette perspective pessimiste, méfiante et méprisante à l’égard des laïcs, a été fort heureusement renversée par le concile Vatican II. Les pères conciliaires nous renvoyaient ainsi aux origines de l’Église où ces distinguos douteux n’étaient pas de mise.

Quelques auteurs ont préparé cette révolution copernicienne. Je me limiterai à évoquer ici l’apport de saint Josémaria, fondateur de l’Opus Dei, auprès de qui j’ai eu la grande grâce de vivre. Il a été souvent qualifié de pionnier du concile Vatican II.

En effet, il a redécouvert le sacerdoce commun de tous les fidèles, à savoir que, du fait de la réception du baptême, nous naissons tous également à la grâce, nous devenons tous identiquement enfants de Dieu, et nous sommes tous appelés à une même sainteté, la sainteté de Dieu. Autrement dit, en raison du baptême, il existe une égalité radicale de tous les fidèles. Tous possèdent les mêmes droits fondamentaux et les mêmes devoirs fondamentaux dans l’Église. Ce n’est qu’ultérieurement, par la réception d’un autre sacrement, le sacrement de l’ordre sacré, qu’une diversification fonctionnelle intervient. (lire la suite)Le sacerdoce ministériel, essentiellement  distinct du sacerdoce commun des fidèles, est à son service.

J’ai mentionné l’existence de droits et de devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs. Permettez-moi une incise. Reconnus et proclamés par le concile Vatican II, ils ont été repris dans la législation universelle de l’Église, avec une valeur constitutionnelle. Cela signifie que toute disposition prise par l’autorité ecclésiastique doit toujours tenir compte de ces droits et devoirs fondamentaux et les respecter. Et qu’ils s’imposent comme critère herméneutique à l’heure d’interpréter toute loi ecclésiastique.

 

Une sainteté unique

Tout baptisé est appelé à la sainteté, avons-nous dit. Il convient de préciser que, en toute logique, mais c’est ce qui avait été perdu de vue depuis des siècles, il n’existe qu’une sainteté, qu’un modèle : la sainteté de Dieu.

Certes, par notre lutte ascétique de tous les jours, nous ne parvenons pas tous au même degré de sainteté. Mais cela ne saurait dépendre de la condition de chacun : marié, célibataire, jeune ou âgé, laïc, prêtre ou membre de la vie consacrée, ni d’avoir embrassé tel métier plutôt que tel autre, de posséder une culture déterminée, etc. Notre sainteté est fonction de la générosité avec laquelle nous nous efforçons d’aimer Dieu tout au long de notre vie, avec l’aide de la grâce, et de notre rectification, chaque fois que nous avons fait fausse route, de nos demandes de pardon.

Nous pouvons illustrer ce fait par la remarque suivante de saint Josémaria. Qu’est-ce qui est le plus important, le travail d’un balayeur de rue ou celui d’un ministre ? Il répondait : Cela dépendra de la droiture d’intention avec laquelle chacun agit, de l’amour de Dieu qu’il met à réaliser son travail, de son esprit de sacrifice. Si le balayeur de rue met plus d’amour à accomplir sa tâche que le ministre, son travail a plus de valeur aux yeux de Dieu, et donc en vue de la vie éternelle. Nous suivons ici un critère qui n’est pas humain, mais surnaturel, celui du monde dans lequel notre baptême nous a introduit, celui dans lequel nous escomptons bien demeurer pour l’éternité.

Ce principe essentiel étant posé, nous pouvons nous interroger sur le rôle des laïcs dans l’Église.

 

La notion de laïc

Mais auparavant, il convient de préciser ce qu’il faut entendre par laïc, car une certaine confusion subsiste. Nous disposons à cet égard principalement du chapitre IV sur les laïcs de la constitution sur l’Église du concile Vatican II et de l’exhortation apostolique post-synodale de saint Jean-Paul II, Les fidèles laïcs du Christ, de 1988.

Nous lisons dans le texte conciliaire que, « sous le nom de laïc, on entend ici l’ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l’ordre sacré et de l’état religieux sanctionné dans l’Église, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien ».

Il s’agit donc des baptisés tels qu’ils sortent des fonts baptismaux, des laïcs tout court, dont le statut n’a subi aucune modification par suite d’un engagement ultérieur, comme c’est le cas des membres ordonnés et de ceux qui embrassent la vie consacrée. Ce sont ceux qui exercent dans le monde la mission propre au peuple chrétien tout entier, sans qu’il leur soit besoin de recevoir une consécration ultérieure.

La constitution dogmatique précise ensuite que « le caractère séculier – c’est-à-dire le fait de vivre dans le monde – est le caractère propre et particulier des laïcs ». Les membres de l’ordre sacré vivent, certes, eux aussi, dans le monde, mais ils sont, « en raison de leur vocation particulière, principalement et expressément ordonnés au ministère sacré ». Quant aux fidèles qui appartiennent à la vie consacrée, « en vertu de leur état, [ils] attestent d’une manière éclatante et exceptionnelle que le monde ne peut se transfigurer et être offert à Dieu en dehors des Béatitudes ». Mais les laïcs se trouvent par vocation propre et par leur style de vie au milieu du monde au contact direct avec leurs semblables, égaux à eux.

Moyennant quoi, précise encore la constitution dogmatique sur l’Église, « la vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des affaires temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu ».)))

mercredi 26 juillet 2023

Le Musée Saharien

Si vous passez par le Languedoc, surtout, surtout n'hésitez pas à aller visiter le Musée Saharien aux portes de Montpellier, 1bis avenue de Castelnau à Le Crès. Il est unique au monde et contient des pièces d'une valeur exceptionnelle. L'on remarquera de nombreux uniformes

, des milliers d'objets de la vie ordinaire et témoins de l'histoire des Touaregs, des fossiles datant de millions d'années

(lire la suite)Monsieur Adell, créateur du Musée Saharien assure une visite guidée absolument passionnante tous les jours, sauf le mardi et le dimanche, de 14 à 18 heures. Vous apprendrez beaucoup de choses sur le mode de vie des Touaregs

et vous admirerez des objets vraiment étonnants.

lundi 9 janvier 2023

Les blessures du Christ lumières pour notre vie chrétienne.

J'ai la joie de vous informer de la parution immédiate, chez Artège, de mon dernier ouvrage

Les blessures du Christ lumières pour notre vie chrétienne.

Voici le texte de la quatrième de couverture :

« J’accorderai tout ce que l’on me demandera par l’invocation aux saintes plaies. Il faut en répandre la dévotion », confiait le Christ à une simple religieuse visitandine, sœur Marie-Marthe Chambon, à la fin du xixe siècle. Forts de ces promesses, pénétrons donc dans ce mystère d’amour et contemplons ces « splendides joyaux », sources de notre salut.

Aimer et vénérer les blessures du Christ en sa Passion, c’est apprendre à aimer d’un amour sans limite, allant « jusqu’au bout » (Jn 13,1), jusqu’au terme de chaque action entreprise, de nos journées, de notre vie tout entière. C’est aussi apprendre à endurer nos souffrances en union avec Jésus et Marie, pour le salut de tous les hommes.

Mgr Dominique Le Tourneau propose ici une riche méditation qui éclairera tous les fidèles désireux de s’approcher un peu plus du Christ souffrant. Ils y puiseront un approfondissement de leur vie intérieure, la maîtrise de leurs sens et la force de supporter les épreuves en les offrant en union avec Jésus et Marie, pour le salut des hommes.

dimanche 2 janvier 2022

La légende du 4e mage

Voir un résumé de cette légende du Moyen Âge sur hautetfort.

dimanche 5 décembre 2021

A l'école de saint Joseph. Les secrets du père idéal

Conférence prononcée à la paroisse de L'isle-sur-la-Sorgue le 4 décembre 2021

Je remercie le Père Kissi et Madame Laroche de leur invitation à venir ici, à L’Ile-sur-la-Sorgue, parler du glorieux saint Joseph. En acceptant avec joie cette invitation, qu’il leur a fallu renouveler à deux reprises, compte tenu des événements que nous connaissons, j’ignorai où j’allais mettre les pieds ! Vous vous apprêtez, me suis-je laissé dire, à vous rendre en pèlerinage à Cotignac, pèlerinage lui aussi reporté. C’est dire que saint Joseph occupe déjà une place de choix dans votre ville renommée.

Mais en outre j’y découvre notamment non sans admiration un gîte Saint-Joseph, une maison de vacances Clos saint Joseph, un vin Saint Joseph, une salle saint Joseph à la Congrégation, un pôle d’activité Saint-Joseph à Thor, à six kilomètres d’ici. Sans compter un certain nombre de toiles de votre prestigieuse et active collégiale Notre-Dame des Anges, telles le Songe de saint Joseph ou la Fuite en Égypte.

Saint Joseph est donc bien loin d’être un inconnu chez vous. De ce fait, j’ai l’impression de vendre du miel à l’apiculteur. Qu’importe ! Un adage classique affirme : De Maria numquam satis, l’on ne parlera jamais trop de Marie. Nous n’avons pas crainte de le référer à notre saint : De Joseph numquam satis. Nous ne parlerons jamais trop de saint Joseph. Le sujet est extrêmement vaste. J’ai trouvé un ouvrage de 2000 pages publié à la fin du XXe siècle consacré exclusivement à la bibliographie joséphine !

Il me fallait donc, vous vous en doutez, opérer un choix. D’où le titre donné à cette conférence : « A l’école de saint Joseph. Les secrets du père idéal. » Je me propose tout bonnement de vous en commenter les deux termes, « à l’école de saint Joseph » d’abord, « les secrets du père idéal » ensuite. Mais j’aimerais introduire mon propos, si vous me le permettez, par des considérations sur saint Joseph et la France, et de le conclure par quelques exemples de dévotion joséphine d’ordre pratique.

 

1) Notre premier point porte donc sur saint Joseph et la France

 

Il est bien normal d’examiner cet aspect, en tant que catholique et en tant que Français. Catholique d’abord, parce que saint Joseph joue un rôle essentiel dans l’histoire du salut et dans la genèse du christianisme. Le temps de l’avent dans lequel nous nous trouvons en est l’illustration. Français ensuite, parce que notre pays a été consacré à saint Joseph par le roi Louis XIV, événement majeur que vous ignoriez peut-être.

Voici un peu plus de deux ans et demi, nous avons assisté pétrifiés et le cœur endoloris au gigantesque incendie qui, 14 heures durant, a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris. Vous en gardez tous les images dramatiques en mémoire. Mais avez-vous fait attention à ceci ? La Providence a voulu que le groupe sculpté par Nicolas Coustou demeurât intact au fond du chœur de la cathédrale : la Vierge de Pitié, flanquée des monarques Louis XIII et Louis XIV agenouillés et lui offrant leur couronne. Le premier, par un vœu explicite et solennel a consacré la France, tout le monde le sait, à la Vierge Marie, au titre de son Assomption, aux lieu et place de Monsieur saint Michel.

L’archange saint Michel qui reste néanmoins notre protecteur attitré, comme le pape François l’a rappelé le 29 septembre dernier, lors de la solennité des saints archanges Michel, Gabriel et Raphaël. Invoquons, disait-il à des pèlerins français, « saint Michel, protecteur de la France, de veiller sur votre nation et de la garde dans la fidélité à ses racines et de conduire votre pays sur les voies d’une unité et d’une solidarité toujours plus grandes ».

Louis XIV pour sa part, le dire suscite habituellement l’étonnement du public, le roi Soleil a voulu consacrer notre pays à saint Joseph.

Relatons les faits qui l’ont à prendre une telle mesure. Le 3 novembre 1637, à Notre-Dame-des-Victoires, à Paris, Denys Antheaume, frère Fiacre de Sainte-Marguerite en religion, convers du monastère des Augustins, voit la Sainte Vierge lui apparaître à quatre reprises. Alors que le roi Louis XIII et la reine Anne d’Autriche tardaient à avoir un descendant, Marie présente un enfant au frère, tout en précisant : « Ce n’est pas mon fils, mais l’enfant que Dieu veut donner à la France. »

Elle demande que la reine effectue trois pèlerinages, l’un à Notre-Dame-de-Paris, le second à Notre-Dame-des-Grâces, en Provence, et le dernier à Notre-Dame-des-Victoires, à Paris. Frère Fiacre décrit le sanctuaire de Provence, où il n’est jamais allé, moyennant quoi l’on accorde crédit à sa vision.

Louis XIV naissait l’année suivante, neuf mois exactement après l’apparition à saint Fiacre, dont les calèches prendront le nom, car leur conducteur y plaçait l’effigie du saint. Le dauphin reçoit le prénom de Dieudonné

Le 21 février 1660, Louis XIV, désormais âgé de 21 ans, se rend à Cotignac pour remercier Notre-Dame-des-Grâces de sa naissance.

Trois mois et demi plus tard, le 7 juin 1660, saint Joseph apparaît à Cotignac à un berger très éprouvé par la soif, Gaspard Ricard d’Estienne. C’est une des rares apparitions reconnues, sinon la seule, du glorieux patriarche. Le même jour, Louis XIV se trouvait à la frontière d’Espagne pour y accueillir l’infante Marie-Thérèse, la nouvelle reine de France, qui traversait la Bidassoa pour se rendre au mariage royal organisé à Saint-Jean-de-Luz.

L’apparition de saint Joseph avait fait grand bruit à la Cour et chez deux princesses espagnoles, les plus proches du souverain : sa mère, Anne d’Autriche, et l’infante, Marie-Thérèse d’Espagne.

Le 31 janvier 1661, Monseigneur Joseph Ondedei, évêque de Fréjus, reconnaît officiellement les apparitions de saint Joseph à Cotignac, et en approuve le culte.

La Saint-Joseph est alors reconnue comme fête en France avec une rapidité confondante. Qu’on en juge.

Le cardinal Mazarin, qui assure la régence, meurt, dans la nuit du 8 au 9 mars 1661. Les 9 et 10 mars, Louis XIV, âgé de 22 ans, prend personnellement le pouvoir et s’entoure de deux conseils pour faire entériner ses décisions. Sa dévotion à saint Joseph va se manifester tambour battant.  

Le 12 mars 1661, donc trois jours après avoir assumé ses responsabilités de souverain, Louis XIV décide de solenniser sans retard le culte de saint Joseph : sa fête sera chômée dans tout le Royaume. Les rares évêques ayant pu être contactés à temps donnent leur accord.

Le lendemain, 13 mars, pendant la réunion du Conseil d’En-Haut, le roi interdit donc tout commerce et tout travail tous les 19 mars à partir de 1661. Ce fait est connu et rapporté par les historiens du Grand Siècle.

Parallèlement, Louis XIV consacre le royaume à saint Joseph. La cérémonie a lieu dans l’intimité, dans la chapelle du Louvre, le samedi 19 mars 1661.

L’après-midi de ce même 19 mars, après les vêpres, Bossuet, occupé à prêcher le Carême aux carmélites du Faubourg-Saint-Jacques, célèbre, dans leur chapelle, les gloires du nouveau protecteur de la patrie, en présence d’Anne d’Autriche, sur le thème Le Seigneur s’est choisi un homme selon son cœur.

Le célèbre évêque de Meaux avait accepté, au pied levé, de ne pas prêcher sur le carême et de composer, en grande hâte, ce qui sera son deuxième Panégyrique à saint Joseph. Citons, pour conclure, la belle envolée par laquelle se termine ce sermon :

« Joseph a mérité les plus grands honneurs, parce qu’il n’a jamais été touché de l’honneur ; l’Église n’a rien de plus illustre, parce qu’elle n’a rien de plus caché. Je rends grâces au roi d’avoir voulu honorer sa sainte mémoire avec une nouvelle solennité. Fasse le Dieu tout-puissant que toujours il révèle ainsi la vertu cachée ; mais qu’il ne se contente pas de l’honorer dans le ciel, qu’il la chérisse aussi sur la terre. Qu’à l’exemple des rois pieux, il aille quelquefois la forcer dans sa retraite… Si votre Majesté, Madame, inspire au roi ces sages pensées, elle aura pour sa récompense la félicité. »

Nous voyons que les prédicateurs n’avaient pas leur langue dans la poche quand ils s’adressaient aux souverains, qui ne s’en formalisaient pas, tout au contraire.

 

2) Venons-en maintenant au titre donné à cette conférence, concrètement à son premier point, « à l’école de saint Joseph ».

 

Pourquoi nous mettre à l’école de saint Joseph ? Parce qu’incontestablement nous ne pouvons trouver quelqu’un plus à même de nous introduire auprès de Jésus et de Marie. Il les connaît mieux que quiconque. Il sait ce qu’ils aiment le plus. Il a tout un patrimoine à nous transmettre, toute une histoire à nous relater, tout un monde à nous découvrir.

Un monde à notre portée. Celui d’une vie ordinaire, vécue sans fracas, dans l’humilité, dans le service continuel des plans de Dieu qui, pour lui, Joseph, lui demandent d’être le chef de la Sainte Famille, d’exercer l’autorité d’un père, c’est-à-dire à l’époque celle d’un véritable patriarche.

Joseph se sent, se sait, le moins digne des trois. C’est à lui cependant que revient le gouvernement de la vie de tous les jours, de prendre les décisions réclamées par les circonstances, de veiller constamment au bien de ce Jésus qui n’est autre que le Fils de Dieu descendu sur terre, vrai Dieu et vrai Homme, comme nous le confessons dans le symbole dit d’Athanase. Il est de nos jours avéré qu’il a été composé en réalité par notre voisin, saint Césaire d’Arles, donc au début du VIe siècle.

L’écrivain et apologiste chrétien Ernest Hello s’émerveille : « Il commanda. La mère et l’enfant obéirent. Il me semble que le commandement dut inspirer à saint Joseph des pensées prodigieuses. Il me semble que le nom de Jésus devait avoir pour lui des secrets étonnants. Il me semble que son humilité devait prendre, quand il commandait, des proportions gigantesques, incommensurables avec les sentiments connus. Son humilité devait rejoindre son silence dans son lieu, dans son abîme. Son silence et son humilité devaient grandir appuyés l’un sur l’autre. »

Nul n’a eu autant d’intimité que lui avec sa chère Marie, son épouse, et avec notre Seigneur. C’est à lui qu’est incombée la tâche d’initier Jésus au métier de menuisier-charpentier.

Comme saint Jean-Paul II l’a relevé, « l’Église vénère Joseph de Nazareth comme « artisan », comme travailleur, vraisemblablement charpentier de profession. Parmi tous les travailleurs de la terre, il a été le seul et unique qui a vu chaque jour se présenter à son établi Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme. Et c’est lui, Joseph, qui lui a appris son métier, l’y a engagé, lui a enseigné comment surmonter les difficultés et vaincre les résistances de l’élément « matériel », et comment tirer de la matière informe les produits de l’artisanat humain. C’est lui, Joseph de Nazareth, qui a lié une fois pour toutes le Fils de Dieu au travail humain. Grâce à lui, Jésus appartient également au monde du travail et rend témoignage devant Dieu de sa très haute dignité. »

Ceci constitue un encouragement vigoureux pour nous tous, qui apprenons ainsi à sanctifier notre travail et toutes nos activités en offrant leur accomplissement à Dieu pour qu’ils contribuent à l’évangélisation du monde.

C’est Joseph qui a emmené Jésus à la synagogue accomplir ses devoirs religieux le jour du sabbat. Marie n’a pas été en reste bien sûr dans l’éducation quotidienne de son Fils.

Si bien que Jésus n’avait pas de mal à conserver Marie et Joseph présents à l’esprit quand il a commencé à prêcher. N’avait-il pas parcouru avec eux le chemin menant de Nazareth à Bethléem, avant même sa naissance ? Et celui de Nazareth à Jérusalem ? Ne sont-ce pas eux qui l’ont conduit à la synagogue, dès sa tendre enfance, pour y prier le Tout-Puissant, alors même qu’ils connaissaient sa véritable condition ? Mais pouvaient-ils se singulariser ?

Et quand Jésus priait avec ses apôtres, il se souvenait de ces moments de prière familiale, au cours desquels tous trois psalmodiaient les hymnes à l’honneur et à la gloire de son Père.

Que de souvenirs du jour de la Présentation au Temple – Jésus-Dieu était alors conscient –, de chaque montée à Jérusalem depuis l’âge de douze ans ; des offices et du culte suivis avec une ferveur inégalée dans la synagogue de Nazareth aux jours et aux fêtes prescrits…

Comment Jésus pouvait-il prêcher sans penser à celui qui lui avait appris à prononcer le tétragramme sacré du Tout-Puissant et à invoquer Dieu du doux nom d’Abba, papa…

Nous pouvons imaginer facilement que Jésus avait pris des traits, des expressions, des façons de parler, de travailler, de celui qui lui était de fait son père aux yeux des hommes. Si nous nous appliquons ce constat, nous en tirerons la conclusion suivante : en nous mettant pour de bon à l’école de saint Joseph, en apprenant de lui, nous ressemblerons alors à Jésus-Christ.

Mais il faut affirmer aussi que Joseph, et Marie également, n’ont cessé d’être instruits par Jésus. Il faisait tout à la perfection, il vivait toute les vertus au degré absolu, ses réactions étaient toujours éminemment surnaturelles. Marie et Joseph ne cessaient de remercier le Tout-Puissant de la grâce qui leur était faite d’avoir Dieu sous leur toit ; ils s’en émerveillaient jour après jour. L’exemple du Seigneur les tirait davantage vers le haut, autrement dit les sanctifiait toujours plus.

Si l’un ou l’autre d’entre vous a participé à une activité spirituelle organisée par l’Opus Dei, il se sera peut-être étonné d’entendre invoquer saint Joseph en tant que « mon père et seigneur ».

Quelle est la raison de cette appellation ? Tout simplement, parce que dès le début de son existence saint Joseph a voulu entrer dans l’Opus Dei et en prendre la tête. Comme il le faisait avec la Sainte Famille de Nazareth. Or, comme saint Josémaria se considérait « un fondateur sans fondement », il a voulu s’appuyer sur saint Joseph, s’en remettre pleinement à lui.

Saint Joseph peut alors remplir un rôle particulièrement important envers chacun d’entre nous. Il nous apparaît comme un maître de vie intérieure. Il a éduqué Jésus dans la foi, disions-nous ; il lui a appris à prier, à s’adresser en tant qu’homme à son Père. Il lui a enseigné les gestes et les pratiques de la foi juive. Nous l’imaginons penché avec Marie sur le berceau de leur Enfant et lui chanter une berceuse pour l’aider à s’endormir, et s’extasiant sur cet Enfant-Dieu abandonné au sommeil !

L’Évangile atteste qu’au retour du temple, à l’âge de douze ans, il était soumis à Marie et à Joseph, ce qui signifie que, pendant tout ce temps, l’unique occupation du Rédempteur fut de leur obéir : c’était à Joseph de commander, comme chef de cette petite famille, et à Jésus d’obéir, comme sujet ; de sorte qu'il ne faisait jamais un pas ni une action, qu’il ne prenait jamais de nourriture ni de repos, que selon les ordres de Joseph. Mais nous pouvons penser quant à nous que Jésus avait suffisamment de liberté d’esprit, et plus encore d’amour, pour prendre des initiatives et rendre de nombreux services sans que Joseph ou Marie aient à les lui demander.

Si nous prenons Joseph pour père et seigneur de notre âme, pour maître de notre vie intérieure, il nous aidera à imiter son Fils Jésus-Christ en étant fidèles à notre vocation chrétienne dans toutes les activités externes, à les sanctifier comme lui-même a sanctifié sa vie de tous les jours vécue sous le regard de Dieu, en présence de Dieu. Il s'agit en définitive de la sanctification de la vie quotidienne, à laquelle chacun doit s'efforcer en fonction de son état et qui peut être proposée selon un modèle accessible à tous.

Comme saint Paul VI le relevait, « saint Joseph est le modèle des humbles, que le christianisme élève vers de grands destins ; il est la preuve que, pour être de bons et authentiques disciples du Christ, i1 n'y a pas besoin de « grandes choses » : il faut seulement des vertus communes, humaines, simples, mais vraies et authentiques. »

Paul Claudel écrivait à un de ses amis : « Joseph est le patron de la vie cachée. L’Écriture ne rapporte pas de lui un seul mot. C’est le silence qui est père du Verbe. Que de contrastes chez lui ! Il est le patron des célibataires et celui des pères de famille, celui des laïcs et celui des contemplatifs ! Celui des prêtres et celui des hommes d’affaires ».

Qu’est-ce que la vie intérieure, sinon fréquenter Dieu ? Saint Josémaria répondait ainsi à cette question : « Et qui a fréquenté Dieu et la Mère de Dieu avec plus d’intimité que saint Joseph ? Ce n’était pas un vieillard, mais un homme jeune, fort, robuste, plein de vertus et de force.

Saint Joseph a été, sur terre, le protecteur de Dieu. Comme c’est beau et vraiment incroyable ! Protéger le Fils de Dieu, le Verbe incarné. Vous savez, poursuivait le fondateur de l’Opus Dei, que, dans l’immense océan de la Trinité et de l’Unité de Dieu, là où une Personne se trouve, les deux autres y sont aussi nécessairement. Donc saint Joseph, qui fréquentait familièrement Dieu le Fils avait aussi une fréquentation familière de Dieu le Père et de Dieu le Saint-Esprit. J’ai l’habitude de lui dire très souvent pendant la journée : Saint Joseph, mon Père et Seigneur, que j’aime tant, conduits-moi à Marie et à Jésus. Jésus me conduira au Père. Et le Père et le Fils me conduiront jusqu’à l’Esprit Saint, qui procède des deux. »

Ce recours au saint patriarche nous ancre donc plus profondément dans l’intimité de la Très Sainte Trinité, nous apprend à sentir la proximité de Dieu, à l’adorer au plus profond de notre cœur, à aimer tous les événements comme autant de manifestations de l’amour paternel de Dieu à notre égard.

En tant que maître de vie intérieure, nous pouvons nous adresser à lui en ces termes : « Saint Joseph, notre Père et Seigneur, toi, très chaste, très pur, qui as mérité de porter l'Enfant Jésus dans tes bras, et de le laver, et de l’embrasser, apprends-nous à devenir des familiers de notre Dieu, à être purs et dignes d’être d’autres Christs. Et apprends-nous à faire comme le Christ : à rendre divins nos chemins (qu'ils soient obscurs ou lumineux) ; et à apprendre aux hommes à faire de même en leur disant qu'ils peuvent avoir en permanence sur la terre une extraordinaire efficacité spirituelle » (Forge, n° 554).

Cet enseignement du saint patriarche, sur quoi va-t-il porter fondamentalement ? Il me semble que la contribution que nous pouvons attendre du tendre époux de Notre Dame, consiste à nous apprendre à aimer la Volonté de Dieu, dans toutes ses manifestations, dont certaines sont coûteuses, comme lorsqu’un recensement décrété par l’empereur l’oblige à se transporter à Bethléem alors que Marie est sur le point d’accoucher ; comme lorsque l’ange lui demande en songe de fuir en toute hâte, en pleine nuit, avec l’Enfant et sa Mère et se rendre en Égypte, sans plus de précision, car le roi Hérode veut faire périr celui en qui il voit un concurrent ; comme lorsque Jésus reste trois jours au Temple à l’insu de ses parents.

Jésus ayant voulu naître et vivre comme tous les humains, sans faire usage de sa toute-puissance ni revendiquer des droits souverains, il est venu à nous dans une famille modeste, certes considérée de tous dans le village de Nazareth et aux alentours, mais que rien ne distingue vraiment. Si ce ne sont les qualités dont chacun des trois membres est orné. Jésus aurait pu naître dans un palais royal, s’entourer d’une armée de serviteurs, exercer un pouvoir temporel. Rien de tout cela n’entre dans ses plans.

Il choisit l’humilité pour nous apprendre l’orientation désirable pour notre propre existence. Il associe Joseph et Marie à ses choix. Il s’appuie sur eux comme premiers collaborateurs de son œuvre de Rédemption, les plus sûrs, les plus à même de le comprendre et de s’engager à fond à ses côtés.

Nous pouvons donc apprendre de la foi de Joseph, de l’obéissance de Joseph, de son esprit de pauvreté, de son assiduité au travail, de son dévouement de tous les instants, de sa patience dans l’adversité, de son affection envers Jésus et Marie, de son exquise pureté, de la prudence dans ses décisions, de son honnêteté dans ses relations commerciales, de sa disponibilité aux plans de Dieu, de sa piété jamais mise en défaut, de sa vie contemplative, etc.

En tant qu’enfants de Dieu, nous sommes appelés, nous aussi, à être des âmes contemplatives, au milieu du monde, dans nos occupations habituelles. Pour cela, il convient de vivre très unis à Jésus, à Sainte Marie… et à saint Joseph. Il était le chef de famille dans le foyer de Nazareth ; c’est pourquoi il est naturel de nous lui demander de veiller sur la nôtre, et, en tant que patron de l’Église universelle, d’intercéder pour que l’Église s’étende au monde entier, pour que nous soyons nombreux à louer Dieu et à lui rendre grâce.

En outre, Joseph se présente à nous comme un modèle pour notre vocation de chrétien courant, d’homme et de femme de la rue. Il a su rester caché à un point tel qu’il n’apparaît pratiquement pas dans les Évangiles. Or, c’est l’homme qui a eu le privilège de porter dans ses bras Jésus-Christ, qui en a pris soin et l’a protégé. Il a travaillé comme nous, dans une tâche professionnelle, dans un métier, ordinaire, monotone peut-être, mais réalisé avec amour, ce qui lui enlève toute monotonie. Il est malheureux que nous, les chrétiens, nous ayons oublié saint Joseph pendant des siècles ; en Occident, pratiquement jusqu’au XVIe siècle.

En décrétant une année joséphine, le pape François nous aide à le retrouver, à nous éprendre de lui, à le fréquenter.

 

3) Nous en venons ainsi au deuxième terme de l’exposé : les secrets du père idéal.

 

Quels sont alors les secrets du père idéal ? Nous y avons partiellement répondu, me semble-t-il. Nous tournons évidemment nos regards vers la Sainte Famille. Selon saint Jean Damascène, pour bien remplir sa mission, Dieu donna à saint Joseph, envers Jésus, l’affection d’un père, afin qu’il gardât Jésus avec une grande tendresse ; il lui donna la sollicitude d’un père, afin qu’il l’environnât de tous les soins possibles ; il lui donna, enfin, l’autorité d’un père, afin qu’il eût l’assurance d’être obéi en tout ce qu’il ordonnerait touchant la personne du Sauveur.

Assurément, « Joseph était la grande affection de Jésus-Christ, fait remarquer le fondateur de l’Opus Dei ; Marie était sa Mère, qu’il aimait à la folie. Nous allons donc avoir une grande dévotion pour saint Joseph, une dévotion tendre, empreinte de délicatesse, fine et affectueuse. Nous l’appelons notre Père et Seigneur. Eh bien ! Allons constamment à lui comme des enfants ! Et, par lui, à Marie, en dialoguant avec eux deux. Avez-vous vu les représentations de la Sainte Famille avec l’Enfant au milieu, la Sainte Vierge à sa droite et saint Joseph à sa gauche, le tenant par la main ? Eh bien ! Cette fois-ci, c’est nous qui prenons la main de Marie et de Joseph, qui nous conduiront ainsi jusqu’à Jésus. Vous commencerez à le fréquenter, et de la sorte nous nous éprendrons de sa Très Sainte Humanité. »

Sommes-nous conscients d’être aimés tout spécialement de Joseph ? « Saint Joseph, comme la Sainte Vierge, doit aimer singulièrement les pauvres pécheurs, puisque sans le péché, il n’était pas nécessaire qu’il y eût un Rédempteur, et par conséquent Marie n’aurait pas été mère d’un Dieu, Joseph n’aurait pas été le père nourricier de ce Dieu fait homme, ni le glorieux époux de la Vierge… C’est pour cela, affirme saint Liguori, et plusieurs saints docteurs avec lui, que la Vierge Marie est le refuge et l’avocate des pécheurs ; et saint Joseph, au même titre, sera leur défenseur et leur appui. »

Joseph « a transmis au petit Jésus qui grandissait à côté de lui le sens de cette joyeuse disponibilité avec laquelle il reprenait chaque matin son travail quotidien, déclarait un jour le pape Wojtyla. Pour cette raison aussi saint Joseph est mis sous les yeux du peuple chrétien comme un modèle lumineux vers lequel tous les pères devraient se tourner au moment des choix concrets que leur impose la responsabilité d’une famille ».

Joseph est aussi un époux exemplaire. Marie confiait à sainte Brigitte de Suède – elle le rapporte dans le récit de ses Révélations : « Joseph m’a servi comme sa souveraine, et, de mon côté, je me suis abaissée jusqu’à lui rendre les plus petits services.

Quant aux richesses, nous ne gardions pour nous, Joseph et moi, que ce qu’il nous fallait pour nous donner les forces nécessaires dans le service de Dieu. Nous faisons, par amour de Dieu, le sacrifice du superflu de notre entretien, et nous le donnions aux pauvres. D’un autre côté, nous étions toujours contents du peu que nous avions.

De toute éternité j’avais été destinée à être assise sur un trône sublime, à être honorée au-dessus de tous les hommes. Cependant, dans mon humilité, je ne dédaignais pas de servir Joseph, de préparer tout ce qui nous était nécessaire, à lui et à moi.

En me servant, Joseph n’a jamais laissé tomber de ses lèvres aucune parole de légèreté, de murmure ou de colère. Il était très patient dans la pauvreté, très actif au travail, quand il le fallait, très doux à l’égard de ceux qui lui parlaient durement, très prévenant dans les services qu’il me rendait, très attentif à me défendre contre ceux qui attaquaient ma virginité, le très fidèle témoin des merveilles divines.

Il était si bien mort au monde et à la chair, qu’il ne désirait que les choses du ciel.

Il avait une telle foi aux promesses de Dieu, qu’il s’écriait fréquemment : Puissé-je vivre assez pour voir l’accomplissement de la volonté de Dieu !

Il a peu fréquenté les hommes et leurs assemblées. Son unique désir était d’obéir aux lois du Seigneur.

Aussi maintenant sa gloire est grande. »

Comment augmenter notre affection envers le glorieux patriarche ? L’affection naît de mille choses. En voyant simplement une personne, elle nous revient ou ne nous revient pas immédiatement.

Eh bien ! Si nous contemplons saint Joseph à côté de la très Sainte Vierge, et travaillant avec Jésus plus que Jésus ne travaille avec lui, nous constatons aisément que cet homme était remarquable. Il devait être très sûr à tous égards, remarquable sous tous les rapports, pour que Dieu le choisisse, pour qu’Il en fasse son père et le gardien de sa Mère ; pour que le Seigneur, le maître de la création, ait voulu que cette créature lui donne à manger et l’habille, le traite avec affection, avec tendresse, et prenne soin de Lui ; il a dû lui donner la main pour faire ses premiers pas. Ne serait-il pas tout disposé à en faire autant avec nous ? Son désir le plus intime n’est-il pas identique à celui de son Fils qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ? Eh bien ! Remercions-le pour cela et aimons-le.

La sainteté de Joseph n’égale, certes, pas celle de la Vierge Marie, préservée par anticipation du péché originel en vertu des mérites de Jésus-Christ. Mais elle est quand même exceptionnelle, encore une fois en raison du contexte : celui de la présence du Fils de Dieu, le Saint par excellence, et de sa Mère bénie, la toute-sainte.

Le Seigneur a choisi celle qui allait être sa Mère, il l’a remplie de perfections et il a choisi ensuite celui qui devait apparaître comme son père sur la terre. C’est pourquoi, la même raison que les théologiens donnent pour parler des grands privilèges de Sainte Marie, vaut pour saint Joseph. Les théologiens disent, après Duns Scot : Il pouvait le faire, il était raisonnable qu’il le fasse, il l’a donc fait. Il a pu rendre sa Mère la plus belle, la plus grande, la pleine de grâces, et c’était raisonnable. Il l’a donc fait.

Eh bien ! après la Sainte Vierge, vient saint Joseph. Aucune autre créature ne devait fréquenter davantage le Christ notre Seigneur et la Mère du Christ que lui. C’est pourquoi Dieu l’a rempli de vertus, de qualités, de bonnes dispositions. Et s’il est, comme nous l’avons dit, notre Père et Seigneur, il vaut la peine de lui demander de nous apprendre à pénétrer dans l’intimité de Jésus et de Marie, et de nous donner un peu de son patrimoine, parce que les enfants ont droit au patrimoine de leurs parents. C’est pour cela c’est de nouveau saint Josémaria qui nous parle, que je l’appelle Père et Seigneur. Comme cela, il exerce envers nous son rôle de père, il nous forme, il nous instruit, il nous apprend à aimer Dieu en toute circonstance.

Comme le pape Jean-Paul II l’a écrit dans son exhortation apostolique sur saint Joseph Redemptoris custos, le gardien du Rédempteur, « le sacrifice absolu que Joseph fit de toute son existence aux exigences de la venue du Messie dans sa maison trouve son juste motif « dans son insondable vie intérieure, d'où lui viennent des ordres et des réconforts tout à fait particuliers et d'où découlent pour lui la logique et la force, propres aux âmes simples et transparentes, des grandes décisions, comme celle de mettre aussitôt à la disposition des desseins divins sa liberté, sa vocation humaine légitime, son bonheur conjugal, acceptant la condition, la responsabilité et le poids de la famille et renonçant, au profit d'un amour virginal incomparable, à l'amour conjugal naturel qui la constitue et l'alimente ». Cette soumission à Dieu, qui est promptitude de la volonté à se consacrer à tout ce qui concerne son service, n'est autre que l'exercice de la dévotion qui constitue une des expressions de la vertu de religion. »

Saint Joseph peut intervenir dans notre vie, comme Marie l’a fait à Cana, quand elle s’est adressée à Jésus, lui disant : « Ils n’ont plus de vin » (Jn 2, 3). Parlant de nous, il peut pareillement attirer l’attention de son épouse sur nos besoins fondamentaux, vitaux, pour qu’elle intervienne à son tour auprès de son divin Fils, avec son efficacité bien connue, qui n’est plus à prouver. Avec ce double recours, nous pouvons être assurés que nous serons entendus et que nous obtiendrons ce qui nous convient. Il est, en effet, plus avantageux de demander à notre père et seigneur de nous obtenir ce que Dieu veut plutôt que ce que nous voulons nous-mêmes.

Saint Joseph est le patron de la bonne mort. Saint Alphonse-Marie de Liguori parle de la mort de Joseph lui-même en ces termes : « La présence d’une telle Épouse et d’un tel Fils, nom que daignait prendre le divin Rédempteur, rendit la mort de Joseph bien douce et bien précieuse. Comment, en effet, eût-elle jamais pu être amère, la mort de celui qui expirait dans les bras de la Vie ! Qui pourra jamais exprimer ou comprendre les pures délices, les consolations, les bienheureuses espérances, les actes de résignation, les flammes d’amour, que procuraient au cœur de Joseph les paroles de vie éternelle que lui disaient tour à tour Jésus et Marie en ces derniers moments ? Elle est donc fort raisonnable, l’opinion de saint François de Sales, qui soutient que saint Joseph mourut de pur amour pour Dieu. »

 

4) Achevons notre propos comme annoncé par quelques « cas pratiques » de dévotion envers saint Joseph, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi.

 

Sainte Thérèse d’Avila raconte : « Un jour, après la communion, le Sauveur me commanda de travailler de toutes mes forces à l’établissement de ce monastère. Il donnait la plus complète assurance que cet établissement se ferait et que lui-même y serait fidèlement servi. Il voulait qu’il fut dédié à Saint Joseph : ce Saint nous protégerait à l’une des portes, Notre-Dame, à l’autre, et lui-même, le Christ, se tiendrait au milieu de nous. »

La même sainte récitait tous les jours et faisait réciter par ses religieuses cette prière : « Dieu tout-puissant et très miséricordieux, qui avez donné pour époux à la Vierge Marie, votre très sainte Mère, l’homme juste, le bienheureux Joseph, fils de David, et l’avez choisi pour votre Père nourricier : accordez à votre Église, par les prières et les mérites de ce grande saint, la tranquillité et la paix, et faites-nous la grâce de jouir un jour du bonheur de vous voir éternellement dans le Ciel. Vous, qui étant Dieu, vivez et régnez avec Dieu le Père, en l’unité du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. »

Thérèse affirmait encore sa conviction profonde : « Qui ne trouve pas de maître pour lui enseigner comment faire oraison, qu’il prenne ce saint glorieux (elle parle bien sûr de saint Joseph) pour maître ; elle n’errera pas sur son chemin. »

Pour corriger les désordres de la paroisse Saint-Sulpice, à Paris, M. Olier y fait fleurir, avec la dévotion au Saint-Sacrement et à la Sainte Vierge, la dévotion à saint Joseph. Il le donne pour patron principal à sa compagnie et au séminaire. Il fait mettre sa statue au-dessus de la porte de la maison, à côté de celle de la Sainte Vierge, afin que ses enfants soient fidèles à lui rendre leurs devoirs, à le considérer comme modèle, à recourir à lui comme à leur protecteur et père. Saint Joseph est choisi comme patron du séminaire parce qu'il a mené avec perfection la vie intérieure dont le prêtre a d'autant plus de besoin que ses fonctions extérieures sont plus absorbantes... « Saint Joseph, saint caché, est établi pour communiquer intérieurement la vie suréminente qu'il reçoit du Père et qui découle ensuite par Jésus-Christ sur nous. »

Pour saint François de Sales, Joseph « pouvait faire envie aux Anges et défier le Ciel tout ensemble d’avoir plus de bien que lui ; car, qu’y a-t-il entre les Anges, comparable à la Reine des Anges, et en Dieu, plus que Dieu ? »

« Ô quel saint est le glorieux saint Joseph ! s’exclame-t-il. Il n’est pas seulement patriarche, mais le coryphée de tous les patriarches ; il n’est pas simplement confesseur, mais plus que confesseur, car dans sa confession sont encloses les dignités des évêques, la générosité des martyrs et de tous les autres saints. C’est donc à juste raison qu’il est comparé à la palme qui est le roi des arbres, lequel a la propriété de la virginité, celle de l’humilité et celle de la constance et vaillance, trois vertus desquelles le glorieux Saint Joseph a grandement excellé. »

Vous trouverez d’autres prières dans le recueil intitulé Les plus belle prières de saint Joseph que je publie chez Artège au mois de juin prochain. Et si vous voulez en savoir davantage, vous pouvez vous servir aussi de Mon avent avec saint Joseph, publié par Parole et Prière pour cette période de l’année liturgique qui vient de commencer dimanche dernier.

Terminons, si vous le voulez bien, avec la prière à saint Joseph qui clôt la lettre apostolique Patris corde : « Il ne reste qu’à implorer de saint Joseph la grâce des grâces : notre conversion. Nous lui adressons notre prière : Salut, gardien du Rédempteur, époux de la Vierge Marie. À toi Dieu a confié son Fils ; en toi Marie a remis sa confiance ; avec toi le Christ est devenu homme. Ô bienheureux Joseph, montre-toi aussi un père pour nous, et conduis-nous sur le chemin de la vie. Obtiens-nous grâce, miséricorde et courage, et défends-nous de tout mal. Amen. »